Prumesing, la cité des Rois.

Ce récit est basé sur la légende Prumésienne, celle d’un empire planétaire post-antique Jaurasien qui aurait existé en 9200-9600 du temps de l'ancienne ère. Il s'agit d'un recueil de recherches, de décryptages et de recoupements de textes, de vestiges de bas-reliefs, de rouleaux et de tablettes. Plus de 260 années de labeur pour plus de 230 scientifiques armés de toute leur patience et de toutes les ressources historiques collectibles. Cette histoire, qui est aussi une façon d'éclairer la naissance du plus grand empire néociv de l'ancienne ère, met en évidence les motifs de la création de la ville, de ses dirigeants. Nous vous en souhaitons bonne lecture…


1-Le cinquième jour de la cinquième démote ( mois ), Eyloth, le cavalier émérite de l’ordre Nourades*, fut convié par son souverain Belletare, à trouver la terre qu’il avait perçu dans ses rêves, celle des milles rivières, la contrée verdoyante au pied des colosses. Il traversa de nuit le Wormung et s’enfonça plus avant et sans escorte aucune, et dans une mise très simple dans le pays des Jaarides, au sein duquel existait quelque part ceux qui avaient vu cette terre, de l’autre côté des montagnes du Shampaz ( Sud du fleuve Yulino ). Belletare avait préparé depuis longtemps le départ de son peuple, esclave des mauvaises terres, des steppes glaciales et asséchées. ( ...passage manquant ).

2-Au bout de 14 jours de traversée, Eyloth trouva la pierre des songes, le gardien millénaire du pays des Jaarides. Il s’enfonça dans la forêt, puis en émergea deux jours pus tard, sans avoir rencontré âme qui vive, même quelque Asimtoten ( Néotribu de ces forêts septentrionales ). Enfin il arriva en vue des hauts murs de Kalletyr, la cité brune du Roi des Jaarides. Arrivé en bas des portes, restées ouvertes pour ce jour de marché qui attire manants, palefreniers, saltimbanques de tous le pays, il se nomma au garde comme l’envoyé du Roi Belletare, et montrant furtivement le sceau au saphir gros comme le poing, taillé en rémiges, symbole Royal sans équivoque, le garde s’empressa de dépêcher un émissaire et une escorte qui apporta peu après un palanquin. On fit faire place au sein de la cohue et le cortège s’ébranla en direction de la Muraille intérieure.

 

3-Ses portes franchies, loin du tumulte sale et fébrile de la populace marchandant et démontrant, Eyloth traversa les belles villas des anciennes rues autrefois bondées, rasées pour faire place à de magnifiques et improbables jardins étagés, de terrasses soutenues par des colonnes, ou la paille et la vile tourbe du sol incertain faisait place d’abord à la pierre grossière, puis à la pierre blanche des falaises de Garay, puis enfin aux marbres les plus précieux. Lorsque les colonnes et les statues devenaient de plus en plus présentes, il sut qu’il entrait sur le territoire même du palais. Le cortège franchit un long escalier courant en grimpant sur le flanc d’une muraille, et débouchant sur une massive porte gardées par des échauguettes de chaque bord. Derrière elles, des salles d’armes et leurs occupants, au service de la sécurité de leur bien-aimé souverain.

4-Annonce fut faite tous cors sonnants, résonnant jusqu’à la lisière de la forêt, et les lourds battants finement sculptés et incrustés de pointes d’Irandien** s’ouvrirent sans un bruit. Au passage du cortège, un vol de grands rapaces des chasses princières croisa en cercle en faisant entendre leur lugubre complainte. Dernière garde animale sans concession, ils se posèrent sur les niches des tours qui semblaient avoir été conçues de temps immémoriaux pour une telle occurrence. Le cortège passa au travers de centaines de domestiques portant l’habit du service Royal, encadrés par de fiers et robustes Eknamms, arborant sur l'épaule le célèbre marteau dont la seule vue glacait le sang. Ils étaient agenouillés, sans un bruit, sinon celui des ordres de préséance éructés au loin, derrière les murs. Puis le cortège s’arrêta devant un personnage d’auguste prestance qui se présenta comme le chambellan. Eyloth descendit de son palanquin de la manière qu’il jugea appropriée pour un émissaire qui venait de si loin, mais sans trahir la fatigue de son voyage dans ses gestes, lents, assurés et solennels.

*Nourades : Cavalerie d’élite des Dagans.

**irandien : Un métal extrêmement brillant et résistant fait d’alliage d’acier, de cuivre vert, de Gronine et de Bore.

5-C’est donc à pied que le Chambellan et l’envoyé passèrent une dernière porte sans gardes mais qui s’entrouvrit par un simple signe de la main, et entamèrent un long escalier. Après deux tournants ponctués par de fortes statues, Eyloth songea dubitatif à la grande tente qui servait de salle de trône à son Roi, simple et fruste, mais craint pour ses cavaliers. Eyloth lui-même n’avait pas de mise particulière, outre une méchante Galubre sombre portée tout du long et encore imprégnée de sueur et de poussière. Mais cette dernière protégeait une tunique brodée de fils de soieries et d’argent venus de la province du Tapelh, soigneusement repliée dans un coffre sous le palanquin et revêtue quelques kilomètres avant d'arriver. Il se débarrassa donc sur son bras de son encombrante Galubre qu’il tapa au vent, et grimpa un dernier escalier, clotûré par une porte massive encadrée par deux hommes énigmatiques car vêtus comme des soldats de parade, masqués et immobiles. Ils n’esquissèrent pas le moindre geste au passage du Chambellan et de son hôte.

6-Le Chambellan s'arrêta devant une porte plus massive encore, dont les battants hauts comme dix hommes étaient recouverts de statues à taille humaine, quatre fresques supersposées décrivant les faits d'armes des Rois de jadis. Le bois des portes, sombre et brillant semblait très ancien, tandis que les personnages étaient peints de couleurs vives et les encadrements des fresques parés de volutes dorées. La posture des souverains de bois semblait partout suggérer la plus grande implacabilité, de sorte que le visiteur n'en était que plus humble. Au signal donné, trois coups de son bâton de chambellan sur l'anneau de base de la porte droite, l'immense structure s'ébranla, coulissant sur des rails cachés, dévoilant la salle du trône.

7-Cette dernière était éblouissante, inondée par les vastes vitraux qui surplombait celle-ci. Un tapis épais, noir réhaussé d'or et de rouge se déroulait tel un fleuve depuis l'estrade du trône jusqu'à la porte. De chaque côté, deux immenses tables dressées pour les banquets étaient débarrassées de tout ornement. Quelques gardes choisis, quelques dignitaires constituaient le seul accueil, encadrant le roi. Ce dernier n'était pas en posture de majesté intimidante, mais au contraire relâché comme quelque larron après force libations. Par contraste avec la porte, les murs de la salle pourtant immense semblaient vides, seules quelques tentures cachées par l'ombre des balcons se devinaient, de même que des statues en pied de grands personnages, de taille surhumaine. Au-dessus des balcons s'alignaient à n'en plus finir des trophées de chasse.

8- Le Roi salua prestement et sans cérémonie le cavalier envoyé par Belletare, qui lui répondit aussitôt, se courbant à terre et annonçant: "Ô grand Roi, mon souverain, Belletare, fils du vent de la steppe, élu du peuple Dagan te salue". Le Roi le fit relever, puis lui fit mander en quel sens Belletare souhaitait son concours. Eylath s'exprima en ces termes: "Ô grand Roi, mon souverain souhaite des Jaarides la permission de notre caravane de traverser vos terre pour s'installer au delà du Shampaz.". Ce dernier répliqua sans ménagement: "Votre caravane aura-t'elle une escorte? Si elle l'est par moi, j'exige mille talents. Si elle l'est par vous, vous trouverez mon armée au-devant.".

9- Embarrassé, Eylath pris le ton du suppliant, se courbant au sol d'avantage encore. il déclara: "Monseigneur, mon Souverain ne désire point la guerre, mais seulement traverser vos terres. Nos hommes d'armes ne seront présents que pour répondre aux brigands, aux bêtes malfaisantes et aux périls des tribus voisines qui pourraient lui nuire séant." Le Roi des Jaarides sembla impassible au ton suppliant d'Eyloth et exigea de nouveau mille talents. Eyloth encore sur le ton de la supplique dut admettre qu'il ne venait pas avec mille talents, son Roi ne possédant pas un telle fortune mais que son coeur était franc et sincère. Il ajouta que sur le chemin du Shampaz, il devait nécéssairement passer sur les terres des Jaarrides, et que son peuple emmènerait avec lui son bétail et qu'ainsi il ne troublerait pas les campagnes de son pays, mais que ses marchands auraient en revanche de belles tuniques tissées par les rideliers réputés du Nord.

10- Toujours insensible à ces arguments, le Roi des Jaarides, Denukut, refusa de nouveau, ajoutant: "Si vos gens traversent mes terres, c'est à leur péril, car je ne souffre qu'aucun homme d'armes des steppes du nord ne foule mon royaume de ses chausses souillées...". Eyloth, toujours courbé au sol, dit alors: "Ô grand Roi, si mon souverain vient sans autres armes que son escorte personnelle à la frontière nord de ton Royaume, près de Slovocki, acceptera-tu de le voir?". Le Roi consulta à voix basse ses conseillers, puis s'adressant à l'envoyé de Belletare lui enjoignit de se relever, adoptant un ton beaucoup plus chaleureux: "Envoyé, tu es un homme d'honneur. Je viendrais donc à la sixième lune avec mes gens dresser mon camp près de Slovocki. Là ton maître sera l'invité de festivités données en l'honneur de l'amitié de nos deux peuples. Si tes marchands portent de quoi me satisfaire, alors peut-être autoriserai-je votre caravane à traverser mes terres... Va maintenant et rapporte mes propos de paix à ton souverain."

11- Eyloth fit trois génuflexions puis recula face au Roi comme il 'était d'usage jusqu'à l'entrée de la salle du trône. Encadré par deux Eknamms, il fit le périple inverse et quitta la cité. Il galopa quinze jours durant, et revint porter à son Roi la nouvelle. Ce dernier l'accueillit avec la sollicitude d'un venu aux nouvelles de son fils prodigue. Eyloth l'entretint une heure durant de son entrevue, de l'impression que lui avait faite le Roi, de ses conseiller, de la ville et des terres des Jaarides. ( ...passage perdu ).

12- A la fin de la cinquième démote, la sixième lune approchant, le Roi avait fait mander tous ses hommes d'armes, ses cavaliers, la garde Nourades. Il fit démonter les tentes de la maison Royale et de la cour, et tout son peuple se prépara au départ. Belletare sentait que le brusque changement d'attitude de Denukut décrit par son envoyé cachait une intention belliqueuse: Dressant son camp près de Slovocki, une vaste plaine dégagée, sa puissante armée aurait le champ libre pour défaire ses propres forces sur son propre territoire. Le jeune Roi des Jaarides avait été précédé de souverains qui tous avaient convoité les steppes du nord, non pour elles-mêmes mais pour contrôler la route de l'Irlandien. Les taxes perçues en effet par les Dagans, et les accusations de brigandage vis-à-vis des rares délégations marchandes Jaarides passant par ces terres avaient étées toujours le motif d'expéditions militaires.

13- Mais si la steppe est pauvre, elle est aussi l'alliée des Dagans; Au printemps, elle est infestée de lorodons* et d'animaux sauvages en chasse. En été, elle est l'enclume sur lequel frappe le marteau céleste. En automne les pluies transforment ses rares chemins en bourbiers. En Hiver, le froid est si dense que les hommes sont statufiés vivants. Et sur ces steppes, les armées Dagannes son reines. Comptant force cavaliers émérites, elles vont et viennent comme l'orage, criblent les fantassins ennemis de flèches avec une adresse légendaire, sans être rattrappés. Les armées ennemies ne trouvent devant elles que des terres désolées, des champs brûlés, des récoltes sont cachées et celles qui ne peuvent l'être détruites. Les rares puits solitaires ne sont connus que des Dagans seuls, et les puits de villages sont empoisonnée en y jetant quelque charogne, de même que tous les points d'eau. A la famine s'ajoute la maladie, et les attaques nocturne des Dagans et de sauvages Leztings**.

14- Aussi le temps et la steppe sont comme une immense muraille sur laquelle viennent se briser les rêves de conquêtes. La puissante armée Jaaride, maîtresse du continent grâce à ses fantassins lourds, à sa discipline et à ses machines de guerre avait pu ainsi soumettre les cités-états voisines et s'en faire, soit des alliées par la force, soit des vassales. Seule la grande steppe du nord restait en dehors de ses visées. Des armées entières y avaient étés jadis anéantis. Les survivants étaient rentrés épouvantés; Quatre Rois y avaient péri, d'autres en étaient revenus si marqués que jamais plus il ne tentèrent quelque action belliqueuse...

*Lorodons: Insectes éphémères profitant de l'humidité et de la chaleur pour se reproduire. vecteurs de maladies.

**Letzings: néotribus primitives des steppes, utilisées comme mercenaires par les Dagans.

15- Denukut était considéré par ses pairs, notamment les vieux compagnons de feu son père, à la fois un chef de guerre redoutable et admirable par son amour des lettres et des chants. L'aîné étant mort des suites d'une maladie, la courronne revint au cadet, encore un enfant, qui arrivé à la fine fleur de sa jeunesse se montrait paresseux, buveur, coureur de filles faciles et grand amateur de chasse. Il passait de plus pour un inculte brutal et arrogant et montrait un désintêrét total pour les affaires de l'état, aux mains de ses conseillers qui étaient connus pour leur cupidité. Aussi c'est son ancien précepteur devenu principal conseiller qui lui suggéra de faire venir son armée à la frontière, puis d'attaquer le camp adverse en plaine, là ou ses propres cavaliers et son infanterie lourde, ses machines de guerre pourraient se déployer utilement. Denukut rêvait déjà d'un victoire facilement acquise, du Roi ennemi prisonnier, laissant le champ libre à ses hommes pour soumettre les Dagans privés de Roi et de chefs.

16- De son côté le vieux Belletare, surnommé "le renard gris" par ses hommes, était un souverain avisé qui avait déjà prévu le refus des Jaarides et introduit un espion dans sa cour de longue date. Le choix d'une entrevue à Slovocki n'était évidemment pas du fait du hasard. La vaste plaine se prêtait à merveille à une bataille rangée, les bois environnants de permettant pas à la cavalerie Daganne de contourner l'ennemi pour le harceler fidèlement à la tactique habituelle. Seule une bataille rangée était envisageable avec ses propres fantassins, bien peu nombreux, peu protégés, pas habitués au combat rangé au corps à corps mais d'embuscades furtives et de coups de mains.

17- Aussi le Roi avait-il choisi Slovocki pour sa plaine donnant aux Jaarides le sentiment d'y être vainqueurs à tous coups, et attirer son armée mais surtout pour le fait qu'on y accédait qu'en traversant les monts du Donseng, et un long défilé qui se prêtait à merveille à une vaste embuscade. Mais ce défilé, précisément, se situait bien à l'intérieur du territoire et l'on avait pas de mémoire humaine vu un Dagan errer sur ces terres. Les monts n'étaient accessibles par le Nord qu'au travers d'épaisses fôréts et leurs abords, au-delà même de la frontière, était commandés par des tours de garde.

18- Lorsque vint la sixième lune, Denukut fit rassembler une immense armée, pour la première expédition militaire de son règne. Excité par cette perspective, il avait fait fondre une armure spécialement pour cette occasion, sur laquelle avait fait travailler ferronniers et artistes durant vingt jours et vingt nuits. Il se fit également construire un char de guerre équipé d'une tour et tiré par cinquante Cavales. Il fit venir ses généraux, mobilisa l'armée de Kalletyr, et tous les hommes de cour, aux montures carapaçonnées et dotés d'armures rutilantes s'y présentèrent, de même que tous les hommes en armes de la cité. Dix mille soldats d'élite, qui avaient fait fondre leur propres équipements à leur frais, les jeunes compagnons de Denukut, et tous les hommes armés par la cité -état, soit près de 130 000 combattants, dont la plupart venaient des terres les plus lointaines du royaume, et beaucoup comme mercenaires. Trois cités voisines alliées, mandées spécialement, y avaient envoyé leurs propres troupes: Les Bachirs* de Tontanie, les Holbendes** de Piras et les Frassinales*** de Gavonie.

*Bachirs: Sortes de hoplites, combattants à pied, citoyens-soldats disciplinés opérant comme lanciers en formations serrées.

**Holbendes: Corps de fantassins légèrement équipés, qui opèrent en avant-garde et projetant des javelots.

***Frassinales: Femmes guerrières montées, cavalières redoutables issues des grandes plaines de Gavonie. L'adresse de leur tir de javelots reste l'apanage des femmes de ce pays de pâturages au demeurant paisible. On fit rapidement le rapprochement avec les "amazones" antiques.

19- C'est donc avec près de 200 000 hommes que l'armée du Roi des Jaarides et de ses alliés se mit en route. Il parvint à Sfatôs, au pied des monts du Donseng, le sixième jour de son périple et dressa son camp pour la nuit. De son côté, le Roi Belletare avait fait partir avant sa caravane son armée en direction des forêts de la frontière. Il fit envoyer au-devant son meilleur officier, Shiran, qui rassembla quelques archers d'élite et les envoya élminer les gardes des tours. Il fit ensuite rassembler ses troupes, les cavaliers ayant quitté leur monture et équipés seulement d'armes légères. Le roi, afin de calmer leurs inquiétudes, leur parla ainsi:

20- "Cavaliers dagans! Vous êtes la fierté de votre peuple, les fils du vent et de la steppe. Demain nous seront face au souverain que combattirent vos pères et avant eux les pères de vos pères. Et parce que nous nous battons pour notre terre, notre liberté, comme toujours par le passé, nous vaincrons. Mais cette fois nous n'aurons pas à souiller nos puits et brûler nos récoltes: Nous attaquerons comme nous l'avons toujours fait, mais en plein jour, et avec toutes nos forces réunies. L'ennemi passera demain par les monts du Donseng. Nous les attaquerons du haut du défilé. Avant cela, Braboth et Laysinare auront pris place aux deux extrémités et le fermeront lorsque toute l'armée du Roi s'y sera engagée. En cédant vos chevaux vous pensez vous dépouiller de ce qui fait votre vitesse. Or, nous seront postés sur ces surplombs ou vos montures ne pourraient vous suivre. Pour chaque pierre, chaque lance, vos bras vengeurs seront impitoyables: Chacun devra présenter à dix ennemis son trépas. Pas un de ces opresseurs du Jaarid et de leurs alliés serviles ne devra arriver dans la plaine. Lorsque le soir viendra, nous festoierons sur les oriflammes noir et rouges. Vos pères et les pères de vos pères seront enfin vengés. Et nous traverseront leurs terres. Et nous atteindrons le Shampaz. Et au-delà nous gagneront le pays des mille rivières. Là, vos fils et les fils de vos fils vivront dans l'abondance et dans la grâce de Gorab* jusqu'à la fin des temps..."

21- Un tonnerre d'ovations salua les mots du Roi. Sitôt après, les 20 000 dagans prirent à pied le chemin de la forêt. Ils attinrent au soir les monts du Donseng. S'étant séparés, et ayant gravi leurs flancs, ils gagnèrent les deux rives du défilé. Là, ils préparèrent leurs armes, taillèrent des branches en pointe effilées, amassèrent des blocs de pierre, affûtaient leurs lames, bandaient leurs arcs. On avait même amené à force de bras sur ces hauteur des chaudrons dans lesquels on fit verser la poix que chaque homme emportait avec lui dans une outre. Lorsque la nuit vint, tandis que les hommes fourbus s'endormaient, le Roi Belletare et Eyloth, le prince Ashitare et les officiers de sa garde regardaient les milliers de feux qui s'étendaient aux pieds des monts. On aurait cru les étoiles du ciel se refléter sur la plaine à perte de vue...

*Gorab: Le dieu suprême des Dagans.

22- Lorsque vint l'aube, les officiers Jaarides se préparaient, inspectaient le camp, ordonnaient aux hommes de jet l'eau de la soupe sur les feux, de démonter les tentes, rassembler leurs équipements. Alors que le soleil était déjà haut dans le ciel, l'armée Jaaride était prête à s'engager dans le défilé. Mais on attendait toujours le réveil du Roi. Le jeune souverain, avait en effet déjà fêté par anticipation sa victoire la veille avec des compagnons choisis et des filles de joie, et festoyé jusqu'à ce que la lune soit au plus haut. Lorsqu'enfin son proche cousin osa le réveiller, ce dernier de méchante humeur le fit congédier et se rendormit. Ce n'est que lorsque le soleil fut à son tour au plus haut que Brabânt, son vieux précepteur et principal conseiller prit sur lui de le tirer d'un sommeil tenace, afin de faire enfin lever le camp à des hommes qui s'impatientaient.

23- Aussi, lorsque l'armée s'engagea dans le déflié, la plupart des hommes étaient levés depuis l'aube et avaient à présent le ventre vide. Le Roi, toujours de méchante humeur ne fit aucun discours et resta glacial envers ses officiers, il ne prit pas la tête de ses troupes conformément à l'usage, mais se fit porter sur un chariot hâtivement aménagé à l'arrière du convoi, avec les troupes de conscrits et de réserve, qui voyaient pour la première fois leur souverain, et le voyaient là prostré et maugréant, une coupe à la main. Lorsque la tête de l'armée arriva au milieu du défilé, certains hommes commencèrent à demander de s'arrêter pour se restaurer. La demande fut refusée par les officiers et le cortège poursuivit. Mais alors que le convoi arriva vers la fin du défilé et que seules quelques troupes retardataires ne s'y étaient pas encore engagées, les demandes reprirent de plus belle. Le soleil tapait dur et les hommes lourdement équipés cuisaient sous leur attirail.

24- Mais les officiers refusèrent de nouveau. On avait prévu initialement de traverser le défilé de bonne heure pour précéder éventuellement l'armée ennemie et sortir au plus vite de ce dernier afin d'éviter justement une éventuelle tentative d'embuscade. Les soldats de réserve et les conscrits, hommes frustes et pauvres issus des campagnes du royaume, n'étaient à priori pas atteints par ces demandes. Mais voyant des troupes urbaines des cités alliés venir quémander au Roi le droit de s'arrêter un instant pour boire, ce dernier, trop content de pouvoir reprendre ses libations, fit stopper le convoi sans se concerter avec les supérieurs de l'armée, et dresser une tente afin de s'y réfugier le temps de reprendre ses libations. Les conscrits voyant ce comportement se débandèrent alors, s'assirent en désordre et improvisèrent un repas. Les soldats urbains alliés avaient ouverts leurs cuirasses, quitté leur casque étouffant, et venaient puiser aux tonneaux d'eau apportée par les chariots. certains, assaillis par la soif, puisèrent également dans des tonneaux d'eau-de-vie emportée pour fêter la victoire.

25- C'est ainsi que comme une contagion, l'indiscipline gagna le reste de l'armée, progressant vers sa tête. Des officiers inconscients laissèrent faire, mais d'autres mieux informés, envoyèrent leurs ordonnances avertir leurs supérieurs à l'avant de la colonne. Partout, les hommes quittaient leurs protections, mettaient en tas boucliers et lances, épées et javelots et venaient puiser dans les chariots pitance et boisson. Avertis, et outrés, les officiers de tête envoyèrent leurs meilleurs hommes pour rétablir l'ordre au sein de la colonne mais ceux-ci avançaient difficilement. C'est alors que retentit le son d'une corne. Un bruit sourd se fit entendre: A l'avant du défilé, entre deux surplombs rapprochés, une avalanche de rochers dévala les pentes abruptes et vint condamner la sortie. D'autres cors retentirent, en échos les un des autres. Les soldats furent brusquement tirés de leur restauration et regardèrent alors frénétiquement dans toutes les directions sans comprendre. Les officiers eux, avaient compris, et épouvantés, hurlaient leurs ordres à des hommes encore apathiques.

26- Le Roi lui-même, encore indifférent, pensant qu'il s'agissait du cor d'une armée alliée, réalisa soudain ce qu'il advenait et se précipita au dehors. Mais ce n'était déjà qu'une confusion indescriptible: De partout, une pluie de flêches, de traits, de lances, de blocs de pierre, et de grenades en terre cuite de poix enflammée, s'abattait sur les hommes pris de panique, courant les uns vers leurs boucliers, les autres vers une hypothétique protection, certains se battaient pour une place sous les cavales, les chariots... Quelques rares archers tentaient de répliquer. Les Frassinales ne purent même pas songer à faire de même: Afin d'épargner leurs montures, elles avançaient à pied les tenant à bride, mais ces animaux craintifs étaient à présent impossibles à maîtriser. Les Bachirs, les Eknamms, les troupes d'élite de la cité tête et tronc nus étaient pris pour cible et abattus les uns après les autres. Les mauvaises troupes, à l'arrière, peu bombardées en comparaison, se débandèrent et prirent la fuite.

27- Ce fut un carnage qui se prolongea jusqu'à ce que le soleil effectue son dernier quart. Alors que les ombres s'allongeaient, il n'y avait plus trace de mouvement dans le défilé. Des plaintes d'agonisants, des débrits épars mêlés aux corps, la fumée âcre de la poix qui consumait les cadavres, et au loin, à l'entrée du défilé, les derniers fuyards qui étaient poursuivis par quelques cavaliers Dagans. Le coeur vide et l'estomac noué, alors même que le prince et d'autres officiers exultaient, Belletare contemplait gravement le désastre qu'il avait voulu. Redescendu à la sortie du défilé, il s'y était engagé avec ses troupes pour venir reconnaître les morts. Rapidement, on retrouva les officiers Jaarides, broyés sous des tonnes de rochers. Le grand conseiller avait lui été brûlé à tel point que c'est à son anneau Sigillaire qu'on le trouva. Ce n'est qu'au crépuscule qu'on identifia le Roi. Il gisait dans un chaos de corps d'animaux de d'hommes, le corps criblé de flèches plantées dans son dos.

28- Au premier quart de lune, Belletare fit rassembler les corps des principaux officiers et les oriflammes des cités alliées et de Kalletyr elle-même. On monta un grand bûcher et les officiers y furent brûlés. On sépara les cadavres des hommes bléssés, et on les retira du défilé. Beaucoup moururent de mauvais traitements, mais Belletare fit préserver tous ceux qu'il prit sous son aile. Il fit rendre les honneurs de la guerre au corps du Roi et à sa cour et resta longtemps à méditer, pendant que ses hommes festoyaient, éclairés par les grands brasiers des bûchers. On passa encore dix lunes à dégager les corps du défilé. L'odeur était tellement insupportable et la tâche si ardue qu'à la fin, on ordonna de jeter la poix restante et d'alimenter ce brasier improvisé avec tout le combustible nécéssaire. La onzième lune, le convoi des Dagans était rassemblé et s'engagea à son tour dans le défilé. Hommes et bêtes marchaient alors sur les cendres encore chaudes de 100 000 soldats ennemis...

29- Les Dagans traversèrent sans encombre les terres des Jaarides. Comme promis, Belletare fit épargner les villages croisés sur son chemin. la plupart des habitants avaient fui à la nouvelle de la défaite vers Kalletyr. Alors que le convoi, transformé par la rumeur en vaste armée passa à près de soixante lieues de la cité-capitale du Royaume Jaaride, une délégation de la cité vint à la rencontre du cortège: Sans même que le Roi des Dagans n'ait l'idée d'un siège, les émissaires très officiels de la ville désarmée venaient lui apporter les clés de la grand-porte de la muraille. Belletare les fit recevoir avec tous les égards et leur assura de ses intentions pacifiques. Il accepta cependant les clefs en gage d'honneur, donnant la garantie que possédant celle-ci, jamais il ne mettrait de son vivant le siège devant la fière cité.

30- Après le départ de la délégation de Kalletyr, le convoi se remit en route et gagna enfin, après avoir franchi le Yulino et après quarante lunes de marche ininterrompue, les contreforts du Shampaz dont les sommets enneigés se confondaient avec le ciel. Au-delà, s'étendait le chaud pays des mille rivières au sol si fertile que chaque graine plantée la veille donne un arbre le landemain. Belletare fit établir son camp, et reçut des délégations venues des cités alliées et vassales des Jaarides. On lui proposait partout son alliance, et des bruits couraient selon lesquels le trône du Jaarid laissé vacant à Kalletyr, les marchands s'y seraient réunis en conseil et assureraient désormais le pouvoir.

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