Roman.

Chapitre I : La Charge

Ce petit matin de décembre était froid. Toute la plaine était nimbée de brouillard. Elle ne résonnait plus alors des milliers de pas lourds de pieds fourbus, et les lueurs de l'aube la dévoilaient lentement avec une étrange sérénité. L'herbe qui avait connu la neige il y a peu encore était grasse et formait le tapis le plus dru qui se puisse imaginer. Que l'on en vienne à filer au ras de cette immensité et l'on ne trouverait ni barrière, écrasées, ni bétail, déplacé ou capturé pour nourrir des dizaines de milliers de ventres vides. Et soudain, au sein de cette immensité ponctuée par de maigres et obscurs bois, des sabots, des bêtes rutilantes. Que le regard s 'attarde sur les jarrets de ces montures et s'élève, il serait capté immanquablement par les longues et brillantes bottes de cuir noir solidement cramponnées aux étriers. Qu'il s'agisse de nervosité ou de sécurité bien connue de ceux qui ont déjà entraîné leur destrier depuis la frontière Alsacienne jusqu'aux sables africains, fermeté et décontraction étaient de rigueur ce matin exceptionnel. Au bout des bottes noires, le pantalon d'un blanc « de campagne » qui venait déjà s'imprégner des rayons du soleil. Une veste bleu de France aux rabats rouge sombre, une cuirasse de fer sur un plastron à garniture pourpre, et un casque à la minerve, résurgence grecque en bronze rehaussée par un plumet de la même teinte. De là émergeait un masque aux traits prononcés légèrement hâlé où l'on percevait à fleur de peau l'impassibilité qui précède l'épreuve déjà familière. Ole avait entendu parler d'Austerlitz, de Murat, également, ce qui fortifia son choix, et il était à présent perché sur la tonne et demie de son énorme animal (un mètre soixante au garrot), impressionnant mélange de cheval de selle Français et de percheron hérité de la chevalerie du moyen-âge. Il prenait place dans une ligne superbe, une barrière mouvante de cent soixante Dragons, les cuirassiers de napoléon, les mains fébriles sur les rênes en attente de l'ordre et le sabre au fourreau. Une légère brise se leva. Le soleil dardait ses rayons à présent sur les cuirasses, qui telles des carapaces de scarabée ne dénotaient pas dans cette étendue verte. Ces tonnes de viandes et de métaux étaient à présent tendues entièrement vers une chose. On allait l'annoncer, le signal allait venir. On allait donner la charge. Ces milliers d'êtres, les plus gigantesques de la création, l'animal le plus noble surmonté du seul être à même de le dompter allaient se ruer dans la vallée en un torrent furieux, la digue d'un barrage s'effondrant, le feu du ciel, la peur suprême pour ces hommes à terre, les fantassins, cramponnés à leur arme si lente que seule la baïonnette se révélait décisive, si nus en face de ces cavaliers et de la force brute de leur animal. Leur tenue usagée par les semaines de service au grand air mais encore entretenue et chamarrée tentait de donner toujours aux grands les observant du haut de leur promontoire le spectacle qu'ils attendaient avec avidité. On en était au temps du romantisme guerrier. Le paradoxe d'une ère dévolue aux machines qui s'ouvrait et de ces carrés de couleur compacte que l'on disposait à sa guise sur les vastes prairies. Ces fantassins en groupes serrés qui répondaient cependant à cet impératif immémorial de survie, le ventre parcouru de spasmes au grés des explosions de boulets. Ils s'avançaient lentement dans les dernières écharpes matinales au son des tambourins. Ce 2 décembre le soleil radieux illuminait en effet la scène de la plus belle des façons. Il y avait 4 mois, les sept corps d'armée qui attendaient à Boulogne de frapper la tête de la coalition contre la France, reçurent de l'empereur l'ordre de faire route vers l'est. Une nouvelle alliance conte la France s'était déclarée. L'urgence était à présent de soumettre les Habsbourg. Puis Il y avait eu Trafalgar, et avec elle sombrait les espoirs de soutien de la flotte Française. Restèrent donc dans les ports la flottille si minutieusement préparée, des milliers de péniches et de canonnières attendant de traverser le mince ruban les séparant de la côte adverse. Mais mieux valait à présent assurer à l'est ses positions. C'en était fait, on frapperait l'Autriche. Ce fut Ulm, en Bavière, le 20 octobre, en même temps que se produisait la sinistre déconvenue navale sur les côtes Africaines. Puis de ce plein succès, la grande armée déferla sur Vienne. En Novembre, les troupes Russes menées par Koutousov se repliaient et furent accrochées par la cavalerie de Murat à Hollabrunn. Enfin le 19 Novembre, les Français atteignent et dépassent Brunn, les avant-gardes se risquant même à dépasser Austerlitz, petit village rural, talonnant toujours les troupes Russes. Mais en face, les Austro-Hongrois repliés en bon ordre on reformé leurs troupes. Napoléon surprend ses maréchaux en demandant le fameux repli stratégique du plateau de la Pratzen, le 28. Il reçoit le prince Dogloruky deux jours plus tard et lui propose un armistice que les condition inacceptables des Russes va faire capoter _à dessein-. Que savait-il de plus en fait ? Ole connaissait parfaitement la suite. Les 40 000 hommes de Buxdowen, en blanc, s'avançant vers l'aile droite Française et les fantassins de Legrand, dispositif volontairement affaibli, se repliant vers le Goldbach, un ruisseau parfaitement à sa place dans le plan de Bonaparte et qui devait freiner les Autrichiens juste assez pour que le corps d'armée de Davout arrive sur les lieux, trois heures plus tard. Ole entendait parfaitement dans l'air frais les rares coups de fusil dans le lointain, l'avant garde Autrichienne se hasardant à perturber le repli des hommes de Legrand. Puis une rumeur commence à monter, une surprise de taille pour les troupes Autrichiennes allongées sur le plateau de la Pratzen. Les deux divisions de Davout, jusqu'à présent tapies dans la brume tombent avec toute la Furia Française, héritée des temps anciens, sur leur flanc. Ce qui était prévisible survient donc. Une colonne Française parvient à rompre le flanc Autrichien et s'installe sur le plateau de la Pratzen. Pendant ce temps, les forces de Bagration et la cavalerie de Von Lichtenstien, l'aile droite de la coalition, progresse en direction de la cavalerie de Murat. Et alors que l'air lui-même se lézardait de fer et de feu, L'ordre fut donné. Mais C'est La Cavalerie légère de Kellerman qui s'élança. Elle vient se heurter de plein fouet, sabre au clair, à ceux de Von Lichtenstein. Le fracas des sabres, les pistolets sortis en hâte. Des hommes s'écroulent, et leur monture se débande, s'affole au milieu de l'hallali, traînant parfois au sol un cavalier encore prisonnier de sa selle par ses étriers. Mais la cavalerie légère donne des signes de fatigue. Les dragons sont prêts. La matinée est désormais bien avancée, les dernières nappes de brouillard s'effacent. Nansouty est alors sollicité. Il n'attendait que cela, et ses cuirassiers lourds avec. Le son grêle de la trompette résonne. Enfin, les chevaux qui piaffaient, les hommes qui avaient déjà pour la plupart sorti à moitié leur sabre de leur fourreau, le libère cette fois au soleil. C'est alors une averse d'argent de même qu'un cri de guerre qui déchire l'air. Mille sabres au soleil. Et avec la vigueur que l'attente et la vue des cavaliers de Kellermann bousculés dans la mêlée avaient rendue insoutenable, les étriers claquent aux flancs des robustes montures. Elles-mêmes sentant la tension depuis trop longtemps contenue et n'attendant qu'une délivrance bondissent en avant. La furie des bêtes sur ces verts pâturages n'a alors rien à envier à celle des hommes. Le torrent se précipite vers la mêlée. La plaine tout entière tressaute sous cette avalanche de sabots. Le grondement balaie toute résistance, le groupe, la présence de la masse, le poids et la solidité des cuirasses, tout concours à donner aux cavaliers l'impression d'être l'un des fléaux divins, de créer à eux tous une réplique aux plus extraordinaires phénomènes dont la nature est capable. Une impunité totale. Mais ce sentiment est ici minoré du fait de l'adversaire est lui aussi monté et déjà en masse confuse. Ole avait précédemment expérimenté une charge contre des fantassins. Le sentiment était quelque peu différent. Pour avoir été dans la peau d'un des Grognards de la garde impériale, Ole avait pu ressentir la profonde disparité des sentiments. Face à d'autre hommes de troupe, marchant de concert en une file impeccable et pourtant si absurde sous le feu ennemi, la peur était celle qui dominait, la peur de recevoir la mitraille ou la balle de plomb qui déchirait les tissus, vidait de son sang, broyait les os, mutilaient à jamais le visage et les membres, de faire partie d'un vaste jeu de quille chamarré et ambulant, que les redingotes bien ajustées, les lourds et chauds shakos bordés de fourrure et s'amarrant douloureusement à la jugulaire par leur lanière de cuir, les boutons de guêtre dorés qui participaient à la grande comédie que les stratèges férus des anecdotes sur de poussiéreuses batailles antiques, rendus aveugles à tout autre considération qu'à leur propre place dans l'histoire, jubilaient de ressentir par toutes les pores de leur peau.. Celui des cavaliers était tout autre. Lancés contre des fantassins, ils opposaient le choc de leurs considérables montures, la vitesse, la mobilité extrême en face de ces blocs compacts de chair humaine. La peur qu'ils suscitaient chez le troupier les galvanisait, d'avantage encore la simple sensation de pousser un immense râteau meurtrier en avant conjugué par la puissance de leur monture et de la masse qu'ils représentaient ensemble, dominant les hommes du tumulte même de leur arrivée. Percer les lignes ennemies étaient un jeu d'enfant devant des hommes peu résolus, prêtes à leur céder le passage. Dans la mêlée, ce sentiment d'impunité s'effaçait avec l'immobilité forcée, restait la rage de sabrer tout ce qui portait un fusil, de tout ce qui brandissait une baïonnette, rage née dans l'adrénaline massive de la charge même. Une énergie que l'on souhaitait garder autant que possible. Mais cette fois, on devait sabrer d'autre hommes sur leurs montures, tout sentiment de supériorité évanoui. Restait l'espoir de déborder l'ennemi par le nombre, et surtout de la bravoure individuelle, de la dextérité à tuer juché sur son cheval, la peur que celui-ci tourne de manière imprévisible et expose son maître à un mauvais coup ou celui de tomber sur un adversaire plus rapide et plus talentueux aux armes. Le pistolet ne tirait qu'une fois en cas de besoin, il était illusoire et suicidaire de le recharger. Restait donc le sabre, et la peur, lorsqu'on était cuirassier, que la lame adverse tanche les membres après avoir ripé sur la cuirasse. Ole se précipita dans la mêlée. Il avisa un lieutenant de Dragon Russe mettant en difficulté un jeune cavalier Français. Ce dernier fut blessé au bras, parant plus difficilement les coups de sabre plus volontaires dans la hâte d'en finir du Russe. Il contourna le cheval du blessé et se présenta à lui le sabre levé. Il força son cheval à se frayer un chemin et, s'avançant autant qu'il put sur sa selle abattit sa lame sur le Russe, lequel para le coup mais fut mis en difficulté à cause de sa position inversée inconfortable. Reprenant vigoureusement les rênes de sa monture, il fit volte face puis avec un cri rauque se lança sur ce nouvel assaillant. Ole l'espace d'un instant sut que le combat serait engagé totalement loyalement, les deux adversaires, tels des vaisseaux en ligne de feu, étaient en position idéale pour se battre le plus librement et le plus directement qu'il soit. Toute la différence se ferait alors en matière de dextérité plus que de chance bien exploitée. Le Russe ne portait pas de cuirasse mais ceci le rendait plus libre de ses mouvements. Le cheval plus lourd du Français lui rendait en inertie. Mais la même rage de survie qui prenait le pas sur le sang-froid des leçons dans le confort relatif du régiment était cette fois au bord de chasser toute technique savante. Le meilleur combattant devant toujours marier rage de survie et dextérité froide du tueur, pensait-il. L'espace de quelques instants, tout le tumulte alentours s'effaça. Il était seul sur la plaine devant cet adversaire résolu. et il l'emporterai. De cette volonté naquit la confiance qui guida son bras. Il lui semblait au début parer chaque coup mais à présent, devant l'inaptitude de ce Dragon à être autre chose qu'un « cogneur » -il l'imagina presque amusé l'espace d'un instant, fruste guerrier celte manier la masse d'arme- il se résolut alors à le prendre au dépourvu par la vitesse. Il para le dernier coup, mais, donnant un violent coup d'étriers à sa monture, il fit une brusque avancée qui, pour le Russe frappant toujours de taille, le fit rencontrer le vide, et se déséquilibrer lui-même. A demi retourné, Ole était en mauvaise posture mais le bref instant qui fit perdre au Russe sa frappe permanente lui permit de décocher un vif coup d'estoc sous l'aisselle de son adversaire. Il sentit la lame s'y glisser sans savoir si le vêtement avait cédé devant elle. Mais l'instant d'après, le Russe tentant de se retourner passa d'instinct sa main sous son bras et le retira taché de sang. Le combat n'était pas terminé. Affaibli, le Russe ne fit que parer à présent les coups du Cuirassier Français. Il sentit sous sa lame la résolution de ce dernier à résister, et devant le doute, de la capacité de l'énergie du désespoir qu'animait son challenger, se décida à varier ses coups autant que possible afin de le déstabiliser. Enfin, la fatigue le prit : Il tenta soudainement une passe dangereuse mais pensait-il imprévisible, donc imparable. Sachant que le dernier coup était donné de telle façon que le Russe reprendrait l'avantage et tenterait, en suivant son mouvement qu'il avait à présent cerné, de taillader sa poitrine, il se prépara à recevoir la lame, qui ripa sur sa cuirasse, remontant dangereusement vers son col. Avant qu'elle ne put l'atteindre, le Russe sembla pris d'un haut le cour : Le sabre du Français l'avait traversé de part en part au niveau de l'estomac. Laissant sa victime s'affaler sur sa selle, il le contourna et revint à la bataille. Les Français avaient progressé largement, forçant le passage, ils avaient repoussé les Cavaliers Autrichiens et Russes pêle-mêle, et s'apprêtaient à se reformer pour relancer une charge. Cependant, il vit alors que s'éteignaient les derniers tintements de ferraille, telle la mer se retirant, les derniers cavaliers de Hohenzollern s'échappent prestement devant la force de la multitude. Il vit alors fort bien au loin, à trois cent mètres, toute une compagnie de fantassins Russes détachés du corps de Bagration, reconnaissables à leurs guêtres vertes, planter le genou en terre sur un ordre et ajuster leur arme. L'espace d'un instant il compris la manouvre du capitaine adverse. Les cavaliers se retirant, ils laissaient les Français exposés sous le feu des hommes de troupes que personne n'avait vu arriver durant la bataille. A l'ordre, une pétarade infernale éclata, tout le premier rang, mire ajustée, partit en feu et flammes. A trois cent mètres, les cavaliers Français furent pris à partie. Ole vit les cuirasses percées, les bras, les jambes éclater, les montures de cabrer et se vider de leurs occupants. Il vit même le casque de l'un des dragons virevolter dans l'azur avec son contenu sous la force d'un impact facial, la jugulaire rompue sous le choc. Au nombre des victimes, le capitaine. Déjà, le second rang s'avançait afin prendre le relais tandis que le premier rechargeait son arme. Il fallait prendre une décision. Un flottement de panique s'installa dans l'air au milieu des cavaliers Français. Puis l'un d'eux compris qu'à une distance aussi courte seule une méthode éviterait à leur masse compacte et confuse de se faire taillader de la sorte. Sans qu'il fut besoin de dire quoique se soit, en voyant la manouvre entamée par plusieurs d'entre eux, l'évidence s'installa. Tous tournèrent bride vers le rang de fantassins qui avaient déjà épaulé. Et une nouvelle charge fut sonnée. Mais les trois cent mètres à parcourir furent une éternité pendant laquelle de nouveau l'enfer se déchaîna, un craquement épouvantable au sein d'une fumée qui cachait presque les troupes, les cavaliers arrivants devant sauter au-dessus des montures abattues. Alors que la dernière ligne se hâtait de prendre la relève, de nouveau le torrent se déversa dans la prairie, sabre au clair et s'abattit sur les infortunés qui faute d'avoir le temps d'ajuster posèrent la crosse au sol afin de constituer un rempart hérissé des longues piques des baïonnettes. Sur ce rempart certains vinrent se briser, mais il ne valait pas les longues hallebardes des guerres de la Renaissance. Certains, dont Ole franchirent l'obstacle, défirent la troupe hagarde de peur et de rage. De nouveau la panique, le tumulte confus, le tranchant des sabres faisant le reste. Ici un homme titubant se cachait le visage ruisselant de pourpre, là un autre hurlait en se tenant ce qui lui restait d'avant-bras, et là encore un dragon luttait contre une baïonnette maniée avec autant d'opiniâtreté que de haine stomacale. Pouvait-on parler de courage et de tout le romantisme qui se profilait derrière alors qu'il s'agissait encore et toujours d'instinct de survie ? C'est alors que se glissèrent au milieu de la mêlée les dragons Autrichiens. Certains Français tombaient, luttant soudain contre un sabre adverse et percé par le fer d'un soldat au flanc. D'autre s'écroulaient sur leur selle, victime du coup de feu de la ligne qu'il n'avait pas tiré et de ceux qui avaient eu le temps de recharger. Mais se frayant un passage, la masse de cuirassiers progressait, se frayait un passage, renforçait les premiers engagés. Nansouty et Kellerman payaient un lourd tribut mais leur tâche était vitale. Bagration enrageait de ne pas pouvoir opérer un mouvement tournant afin de remonter sur le Plateau et soutenir ses troupes durement prises à partie. Mais la confiance des Français est totale. Derrière eux, se profile les lignes de grenadiers de Bernadotte, qui déjà commence à déborder le dispositif Russe. Cependant Koutousov, le vieux renard des steppes que ses troupes tiennent en grande affection, tient bon. Ole ferraille depuis lors et le temps s'allonge, lui paraît interminable. Il vient de mettre hors de combat deux fantassins en attrapant au vol le bout de leur fusil, risquant tout au plus une estafilade et frappant d'estoc avec le bout du sabre au niveau de la pomme d'adam. Puis il essaya de jouer de l'effet de surprise dans la mobilité, sabrant l'homme qui ne s'était retourné à temps . Bien que moins protégés, les cavaliers de Kellerman se démenaient comme des diables. Enfin, sur ordre, ce fut la cavalerie Française qui se désengagea, laissant le champ libre au grenadiers. Le fracas domina de nouveau la prairie, en face, les derniers fantassins valides et les quelques dragons Austro Russes restants tournaient bride. Tandis que la seconde ligne de grenadiers s'apprêta à mettre un genou en terre, la cavalerie Française séparée en deux ailes pour laisser le champ libre aux fusils se reforma et attaqua les flancs. Nouvelle charge nouvelle confusion. Nouvelles pertes des deux côtés. Trop proche, ce qui restait du bataillon Russe ne put échapper aux sabres Français. En voyant les grenadiers, ayant tiré leur dernière salve, monter à l'assaut en chargeant baïonnette en avant, la fougue des cuirassiers et des dragons légers les entraîna dans une ultime charge vers le second bataillon. Ce dernier fut bousculé, désorganisé, incapable d'ajuster une arme, proie facile désormais pour les grognards. Et ce fut, après un moment de doute, la fuite éperdue pour ces hommes éprouvés et épuisés de Bagration. Un repli désorganisé. Si le bataillon qui suivait avait à son tour passé de la marche à la ligne de feu, leur tir ne put se faire, gêné par les hommes en fuite. Et ils furent à leur tour culbutés par le raz de marée équestre. En tout lieu, nulle merci; la fuite des fantassins était vouée au tranchant du sabre. A son tour le troisième bataillon s'apprêta à se retirer en bon ordre, mais la cavalerie était sur elle. Ce fut de nouveau la mêlée, tandis que derrière arrivaient au pas de charge les grenadiers. De son immobilisation, Koutousov, rompu de dépit, se voyait contraint au repli. Au centre, la garde de l'empereur elle-même avait été engagée et la décision semblait proche. Il était prés de midi, Ole ferraillait encore. Mais pour avoir été au premier rang dans l'action de manière ininterrompue, il s'octroya un instant de flottement, se laissant dépasser par ses compagnons. La fatigue s'abattit sur lui comme un oiseau de proie. Se sentant d'un seul coup libéré d'une pression colossale, il vacilla sur ses étriers, un immense vide creusa son ventre, un brusque haut-le cour, une immense tristesse et une lassitude qui lui fit monter les larmes sans qu'il n'y put rien faire. Il le savait, un homme immobilisé était une proie facile pour un bon tireur. Mais son attention s'était à présent relâchée d'une telle façon que ses nerfs se seraient rebellés comme les jambes d'un marathoniens après une courte pause vers la fin de son épreuve. Le temps s'étira. Il perçut au ralenti des ombres et de vives clartés de métal dans une sarabande sans fin noyée dans une confusion sourde. Et alors au terme de cette éternité le grondement ponctué de vagues aiguës se mua interminablement en un grésillement, puis un vif crépitement tel celui d'une chute d'eau. Il reprit ses esprits. Et ce fut l'explosion, et le choc d'une masse. Il ne sut jamais d'où celui-ci était parti mais il porta sa main à sa carotide. Un éclat y fumait. Celui-ci avait anesthésié ses sens. Il le retira, libérant un jet de liquide chaud. Ce dernier se répandit sous son justaucorps tandis qu'une odeur aigre-douce emplissait tout. N'ayant plus aucun contrôle, il vacilla et chuta de son animal, la lourde cuirasse lui brisant les côtes. La dernière chose qu'il vit fut le visage grimaçant d'un soldat Russe lui perçant l'aine.

CHAPITRE 2 - Babylone

Epais fut son sommeil. Lorsqu'il en émergea sa volonté commanda d'instinct ce dont il avait l'habitude de s'entourer. D'abord un brouillard blanc vierge, la maudite couleur d'un monde parfait -ou d'un monde qui n'est plus à faire- et il pensa à juste titre que c'était bien la seule qui correspondit au désespoir absolu. Le Noir profond recèle au moins toujours une lueur ne serait-ce cachée, une rumeur d'espoir lointaine, mais c'était mieux que le néant. La température était elle aussi parfaite et le silence absolu. Lorsque la buée de ses yeux s'estompa il put s'amuser à tenter d'entrevoir des coins, des parois. Mais c'était bien la couleur de l'infini -et de l'infinie solitude- Et comment pouvait-on être plus seul que dans l'endroit qu'il savait exister autour de lui. Infinie multitude. Le rêve véritable venait de prendre fin, le sommeil réparateur d'imposer sa loi. Blanche immaculée, désinfectée, purifiée d'absolu était sa geôle. Pas le moindre meuble, la moindre anfractuosité, aucune ombre sous la lumière diffuse sortant de partout et de nulle part. Une lumière à sa convenance. Puis sa volonté commanda de nouveau. Et la couleur fut. Les bords de sa geôle tremblèrent l'espace d'un instant, un reflet irisé les parcourant de bas en haut. D'un coup, la lumière et l'espace apparurent. La vie. Il était à présent dans une sorte de Kiosque fait de colonnades sur un plan pentagonal. Ces dernières semblaient faites de bois et leur sommet s'ornait de quelques plantes grimpantes. Le sommet qui le dominait et permettait à ses yeux de fuir la vive lumière était aussi fait de bois sombre et mat. Le contraste alors en était saisissant. A ses pieds, cinq cent mètres plus bas éclatait de mille feux sous la lumière rasante du matin une large et paresseuse rivière, serpentant au bas d'une vallée encaissée. Des conifères en soulignaient les contreforts. Une buse fit entendre son chant aigre. Le bourdonnement des insectes se fit plus présent. Tournant la tête, il vit la porte qui lui faisait face, lui permettant de sortir de ce kiosque. Mécaniquement, il se redressa sur sa couche, mais sentit très vite le tiraillement de sa coiffe faite de milliers de câbles en plastique. « La connexion » pensa t'il.Une seconde forme de rappel à la réalité le tira de sa vision. Tâtonnant, il retira le principal connecteur à la base de son crâne. Les milliers de câbles libérés revinrent alors sur sa nuque. S'étant redressé, Il ne porta la main ni sur sa carotide, ni sur ses côtes car il savait ce qu'il en était. Il s'approcha alors de la porte à quelques centimètres de sa couche, puis s'étant mis sur ses pieds il décida de sortit. La porte glissa vers le haut, en même temps que les murs de la minuscule pièce dans laquelle il était tremblèrent de nouveau. En en franchissant le seuil, il vit ceux-ci retourner à leur blancheur originelle, tandis que sa couche était soumise à un nuage bleuté d'aseptisant. Le couloir offrait une banalité concrète à laquelle il ne prêtait plus aucune attention. Sa lumière froide et blafarde montrait la relative indigence des gestionnaires des parties communes. Prenant son temps pour marcher, il se dirigea vers une salle publique, une sorte de club propre à cette résidence hôtelière, dans lequel il vit des connaissances et surtout ses anonymes de voisins. Il rejoint Eid sur son vélo fixe. Ce dernier le regarda amusé. « Alors tu m'a vu ?» lança t'il sur l'air de celui qui attend la réponse avec impatience. « Aucunement. Trop de cavaliers. La mêlée était trop confuse. » « Mais si, j'étais avec l'escadron rapproché de Kellerman, j'étais peut-être à vingt mètres de lui lorsqu' il a sonné la charge. » « Tu n'as pas écouté ce que je te disais hier, moi je faisait partie des cuirrassiers, avec Nansouty. » « Les cuirrassiers lourds ?, c'est vous qui avez si tardé pour venir nous épauler ?  « Tardé sur ordre, je te signale.Je pense que Nansouty voulait préserver les forces pour le choc décisif.» « Décisif, il l'à été. Trois bataillons Russes enfoncés, c'était une promenade. Enfin. Mais où était tu lorsque nous sommes remontés poursuivre Koutousov ?. » « Mort. Un éclat d'obus, mais je n'y crois pas trop, les Russes n'avaient pas d'artillerie et n'auraient pas osé tirer dans la mêlée que je sache. Non, je pense plutôt aux éclats qui remplacent éventuellement les balles en cas de pénuries dans la besace des fantassins. » « Et ta cuirasse ?. Finalement elle n'à pas servi à grand chose. » « Oh que si. J'ai quand même sabré cinq soldats et mis à terre deux cavaliers russes avant de me prendre cet éclat dans le cou. Après ça j'étais très fatigué  je me souviens de m'être écroulé, peut-être même d'être tombé au sol en me cassant les côtes. Et après, comme d'habitude. » « Alors finalement tu n'avais pas fait le bon choix. Comme quoi.Si je remet ça aux prochaines rencontres, je conserve ma place. On se sent moins protégés mais on est si rapides.Et ton boulot ? » « Je ne sait pas ce qui m 'attend ; ma dernière mission s'est achevée il y a deux jours. On verra bien. En tout cas pour ce soir, je choisis les délices de l'orient. Pour le reste on verra plus tard. » Changeant de registre, Eid conclut en descendant de la selle : - « Fait ce que tu veut mais essaie d'être là après demain : Ce sera Iéna. Hidar et Loc étaient connectés aussi. Loc s'était grandi de dix bons centimètres au moins. Mais il ne s'est pas dégonflé. On s'est retrouvé au bivouac avant de repartir à la chasse aux Russes. » - « Vous ne dormez jamais ? » - «  Moins que toi en tout cas. Pourtant on s'est connecté pendant quatre heures réelles. » - « Je me fais vieux. » - « Arrêtes tes salades ! Tu à vu l'heure qu'il est, c'est pas possible, tu à dû basculer sur un autre site et tu ne t'en souviens plus. ou tu ne veut plus t'en souvenir. »( un sourire sardonique aux lèvres il changea de ton.) « Je crois savoir où. » - « Non, c'est pas ce que tu pense. Simplement je suis fatigué. Ça peut se comprendre, j'ai dû surfer sur des sites encore bien dix heures réelles avant de vous rejoindre à Austerlitz.Je t'ai dit que je n'avais plus de mission depuis longtemps. » - « Tu à toujours accès au réseau classe trois* ? Alors ne perd pas ton temps et essaie plutôt de travailler en virtuel. » - « Je passe mon temps dans les archives. La traque en MVC*, tu sais bien que je n'y ait plus accès. »  - «  C'était pas de chance ! Pourtant ça te plaisait bien et tu aurais pu faire ta probation si. Il suffisait d'un rien. » - «  Mais c'est justement le rien qui à fait tout basculer. Enfin. Je n'aime pas parler de ça tu sait bien. Toutes ces années d'étude sur la traque des meurtriers virtuels pour me retrouver en réel à temps plein !. Je ne prend pas ça très bien, et ça peut se comprendre. » - « Enfin. Tu a entendu parler des doges ? » - «  Ah, la secte du cinquième niveau ?, tu sait bien que se sont des rumeurs, on ne les a jamais trouvés, depuis vingt ans que ça dure. » - « Bon, on reparlera de ça une prochaine fois, à plus tard .» Eid s'en fut terminer des exercices dans l'autre partie de la salle, et après ses séries, il quitta le club d'un salut de la main, laissant Ole terminer sa course immobile. Ce dernier était dubitatif. Il voulait croire à ce semblant de légende. Après une heure d'exercices intensifs, il quitta à son tour le club et se rendit vers les transports communs individuels. Après deux escalators et un puit antigravité, il arriva sur le parking. Une pression du doigt sur la petite plaque en haut de la portière débloqua celle-ci. Son compte et son matricule immédiatement identifiés, il s'installa confortablement dans l'engin monoplace. La bulle descendit automatiquement vers le réseau primaire et s'insinua dans la circulation. La plupart du temps en tunnel, il lui arrivait de voir de temps à autre le gigantesque pied des tours. La bulle filait tandis qu'un hologramme s'affichait sur l'écran central de la console, y disséquant les dernières nouvelles de la cité, s'attardant sur les faits divers glauques des bas niveaux. Il essaya alors le sourire en coin de comparer sa planète natale avec une autre. Et non, il n'y en avait aucune de la sorte. Ton était absolument un cas à part. Qu'une cité recouvrasse l'étendue entière d'une surface planétaire, ce n'était pas la première fois. Il y avait bien eu Rigel-3 avant sa chute, 2500 ans plus tôt, mais de nombreux sites difficilement constructibles laissaient entrevoir la roche. Il y avait aussi Procyon la vieille, qui faisait la part belle au métal mais changea considérablement, intégrant de nombreux parcs en conservant son air respirable, grâce à ses processeurs géants photosyntétiques. Il y avait enfin la légendaire Coruscant, ainsi nommée d'après une obscure fiction de la lointaine histoire Terrienne, et c'était de loin la plus jeune. Sa population avoisinait les 400 milliards. Ton, littéralement « la ville » en vielle langue standard était de loin la plus peuplée, puisqu'elle était la seule au rang de Trigacité, c'est à dire dont la population avoisinait le trillard d'habitants au faîte de sa gloire. Mais c'était déjà 700 années en arrière et depuis son prestige était atteint comme de nombreuses opérations de remembrement ponctuées de démolitions avaient considérablement chamboulé le paysage. Elle n'en était pas moins la seule ville pouvant se targuer -ou déplorer- que ses plus hautes montagnes comme ses plus basses vallées étaient recouvertes d'au moins deux kilomètres de structures urbaines. A aucun endroit le roche ne pouvait s'apercevoir, et du reste, il y avait bien peu de natifs Tonites qui pouvaient se targuer avoir même approché des gravats constituant le sol de leur planète. Dans la capitale, entre le sommet d'une tour pressurisée, la tête bien au-delà des plus hauts nuages, et ce qui était en théorie le sol planétaire, s'érigeaient plus de vingt kilomètres d'urbanisation en couches successives. La « surface » urbaine s'étendait au pied des villes-tours, dressant leur silhouette parfois régulière, parfois chaotique vers les cieux encombrés car le ciel restait obscur, éternellement lourd de menaces et rougeoyant. Ton était exceptionnelle et son destin comme son histoire valait toutes les légendes. Celle-ci commença Trois mille ans plus tôt, lorsqu'une sonde autopropulsée faite de carbone intelligent entra dans son atmosphère ténue. A l'époque, l'étoile Kusai était la plus lointaine observée par le radiotéléscope de Bonson dans la bordure extérieure en mesure d'offrir un panel de planètes rocheuses colonisables. Elle était dominée par l'écrasante lumière de Kalam, un supermassive de 238s*. Dénommé « l'astre-mère », il émettait à lui tout seul suffisamment de clarté pour rendre habitables des planètes à des distances d'une année lumière. Ce fut d'ailleurs l'un des premiers systèmes colonisés dans lequel se trouvait un système captif, ou « système-fille », en fait une étoile plus petite orbitant autour d'elle et possédant son propre système. Kusai (0.8s) possédait ainsi 17 planètes principales assez rapprochées mais seulement trois gazeuses, lointaines et de dimensions 0.3, 0.4 et 0.8j*. Les 14 autres étaient des rocheuses modestes, la plus vaste étant Kusai 3 ( troisième en partant de l'étoile ), les autres ayant des dimensions proches de celles de la lune terrienne ( entre 3000 et 10 000 Km de diamètre ). Kusai 3 recélait d'invraisemblables présence de minerais. En fait, un record. Elle était la résultante d'une vaste ceinture d'astéroïdes assez jeune et distendue, en mesure de fréquemment détacher un de ces objets massifs dans une trajectoire elliptique l'amenant invariablement à croiser la route de l'astre le plus massif localement, et l'étoile Kusai étant bien modeste, elle se voyait concurrencer par Kusai 3, qui par sa masse et les lois de la gravitation attirait ces corps de façon irrépréssible. La richesse de la ceinture eut pour conséquence de transformer ce monde à peine plus vaste que Mars en gigantesque punching ball strié, boursouflé, couturé en permanence de cicatrices béantes, de cratères d'impact de toutes taille se chevauchant. Si son activité géologique était relativement faible, sa surface, ne connut jamais la paix qui put permettre l'apparition d'un semblant d'atmosphère : Tous les six ou sept cent années environ, un impact majeur aurait eu pour conséquence de volatiliser le moindre voile gazeux qui se serait constitué de par l'activité de ses rares volcans. Et comme les nuages de gaz épais résultants de ses explosions d'impact ne duraient guère. Monde impropre à la vie, on décida, ou plus exactement la Compagnie Grinoê, d'envoyer sur place un vaisseau colonie de mineurs, histoire de s'approprier du même coup la plupart des mondes environnants. Dés le départ, cette activité minière sur kusai 3 se révéla particulièrement intéressante. N'ayant pratiquement pas besoin de faire d'excavation, l'exploitation « de surface » était des plus rentables. Exportant des volumes de matériaux bruts assez considérables, la colonie minière connut un essor sans précédent, à tel point qu'il fallut faire appel à des fonctionnels* supplémentaires et même à l'immigration. En 7589 de l'ère standard, la planète avait atteint son milliard de mineurs. Un double record absolu, celui de la plus forte population pour un monde non terraformé* et celui du plus rapide peuplement pour un monde aussi lointain, à l'époque le plus éloigné des mondes colonisés de la confédération Terrienne. Très isolée, la population se trouvait à 11 A.L. du système habité le plus proche. Autant dire que le moindre voyage s'envisageait à l'échelle du demi siècle. Dés le départ donc, l 'autonomie contrainte et forcée de la population Kusarienne donna des solutions efficaces et pragmatiques à tous les problèmes rencontrés. Heureusement, les système de neutatransmission*, les « pains d'ondes » neutrinaux, fournirent à la colonie les moindres détails des progrès accomplis dans les confédération. Parmi les projets technologiques demandés figurèrent les batteries matricielles* pour fonctionnels dernier cri. Ce furent elles qui permirent à cette colonie de multiplier sa population par trois en l'espace de dix années seulement. En 7800, l'activité Kusarienne s'était dirigée naturellement vers l'industrie lourde, puis vers la préfabrication, et enfin la fabrication de structures entières. Kusai 3 possédait un nombre de satellites déjà enviable ( plus de 9, dont trois planétoïdes ), également saturés de minerais y compris en profondeur et dont la surface fut en partie utilisée pour bâtir les premiers chantiers spatiaux locaux. En 7850, Kusai présentait une gamme de vaisseaux commerciaux relativement frustes bien qu'entièrement automatisés, et très bon marché au vu de la concurrence*. Le succès rencontré par ses cargos « Limian » et toute la série qui en découlait était une réussite commerciale inespérée. Les commandes affluant, quinze chantiers spatiaux majeurs furent fondés en l'espace de 25 ans autour de Kusai. La matière première étant disponible en grande quantité immédiatement et à bas prix, la conception des vaisseaux reposant sur des technologies simples et éprouvées et le budget de recherche réduit contribuèrent à hisser la colonie au rang de quatrième producteur de cargos dans toute la confédération. C'était aussi la première exportatrice de Nickel et de cadmium. Mais en 7980, c'était la première : plus de 78 chantiers officiait quotidiennement à la sortie des dizaines de vaisseaux, dont des cargos, mais aussi des méthaniers, des centrales de retraitement et de raffinages itinérantes, des remorqueurs, des vaisseaux spécialisés, et jusqu'aux immenses nefs coloniales. Le consortium, ex-compagnie Grinoê le comprit si bien qu'elle s'installa à Kusai-2 et devient le second armateur et financier des expéditions coloniales dans toute cette partie de la confédération. Au neuvième millénaire, il était le premier. Kusai-2, plus petite, était plus proche et donc plus chaude, moins riche en minerais. Elle fut cependant exploitée jusqu'à ce que celle-ci ne devienne plus aussi rentable et servit alors de vaste garde-manger de Kusai, en tant que planète agricole. De vastes dômes aménagés, en attendant sa terraformation, qui dura 400 années, (7740-8040), devait fournir une alimentation de meilleure qualité aux colons, avant de leur donner la possibilité d'un meilleur cadre de vie. Lorsque l'on put enfin respirer de ses propres poumons l'air de Kusai-2, vers 8070, la planète se para d'un nombre considérable de lotissements de luxe et de villes de loisirs qui en firent l'échappatoire rêvé pour la plupart des ouvriers de Kusai, mais surtout le seul lieu de résidence convenable pour les cadres de la société politique et l'élite industrielle et intellectuelle locale. Kusai-2, appelée par la suite Fiellan « terre des champs », se fit fort d'attirer des professeurs de renom pour ses universités flambant neuves. Le but était toujours de sortir de cette vieille image de « trou du cul des mondes connus ». Mais son blason se dora considérablement avec la nouvelle ère qui s'annonçait grâce au formidable développement du système de Kalam. La civilisation Kalammite allait naître, et avec elle son turbulent modèle, l'empire Tonite. Une vielle règle du début de la conquête spatiale, et qui régissait toujours dans sa philosophie, la colonisation des nouveaux mondes, édictait : « toute sonde ayant prouvé que la planète visée était colonisable en classe 4 ( terraformable ), le propriétaire, armateur, ou financier de toute autre manière en parts majoritaires de l'expédition ayant eut pour suite l'établissement d'une base en priorité, aura la propriété et l'usufruit plein et entier de la planète considérée, de ses satellites et du territoire afférant ad vitam eternam. »* ceci signifiait que d'une manière générale - et le règlement fonctionnait de même pour les mondes des autres classes ( planètes gazeuses, rocheuses ou astéroïdes non terraformables )- que le financier d'une expédition avait intérêt à bien choisir la planète qu'il colonisait et qu'il devait surtout arriver le premier sur place !. Ceci eut pour conséquence que certaines compagnies dépensèrent des sommes folles à bâtir les nefs coloniales les plus rapides possible, parfois au détriment de certains paramètres vitaux, dont la sécurité de l'équipage et des colons embarqués, ou l'emport de matériel suffisant pour démarrer une colonisation viable à long terme. On envisagea, de même que l'on travaillait à la propulsion des vaisseaux, de construire des machines plus modestes, n'embarquant que très peu de colons ( en fait juste une dizaine en mesure de faire fonctionner une base préfabriquée en autonomie pendant plus de vingt années sur un monde inconnu ), et même, en dernier recours, de n'envoyer que des « porteurs de gamètes », qui seraient fécondés peu de temps avant l'arrivée, le vaisseau devenant alors une sorte de vaste pouponnière de colons en orbite tandis que des machines se chargeaient d'établir au sol une base opérationnelle. L'interprétation de ce texte donnera lieu à un nombre incalculables d'évènements politiques, économiques, et engendra même des affrontements militaires. Il sera par la suite des milliers de fois amendé et deviendra le fouillis juridique le plus inextricable qu'il soit avant d'être repris en main par les « anges gardiens », la trop fameuse commission de colonisation. Quoiqu'il en soit, Kusai-3 permit au consortium Grinoê de mettre la main sur un véritable trésor et de bouleverser l'histoire de la confédération comme aucun monde ne l'avait fait avant. Les armateurs Grinoêliens, devenus un synonyme de prospérité rapide -« .devenir riche comme un armateur grinolien », vieille expression- mirent sur pied en un temps record les expéditions vers toutes les planètes du système Kalammite, implantant des « bases » sur toutes ou presque selon un plan bien établi. On prêtera plus tard aux Grinoliens des méthodes bien peu scrupuleuses car les Intercolliens perdirent à cette époque deux vaisseaux-colonies en passe de faire de même sur un certain nombre de mondes de la ceinture extérieure de Kalam dans des circonstances qui ne furent jamais totalement élucidées. Le système de kalam était des plus impressionnant avec plus de 65 planètes principales et environ 210 satellites, sans compter les milliards d'astéroïdes de toutes tailles présents dans la ceinture extérieure. Parmi ces planètes, certaines, gazeuses, étaient extrêmement massives, la plus vaste de toutes ayant réussi sa fusion et étant devenue Kusai, ex-Kalam 44, une jeune moyenne blanche. Mais il y avait une ribambelle de rocheuses dites « terraformables » en bordure interne, Kalam 19 à 37, qui rendit l'avenir aussi radieux que l'astre-mère, baignant ses rejetons dans sa laitance. Les Grinoliens étaient bien entendu parfaitement conscient de cette richesse mais n'empêchèrent pas deux autres compagnies de s'emparer de certains mondes de ce système. Mais pour l'essentiel, Kalam était sous la tutelle du consortium qui administra ces mondes d'une manière si efficace que la prospérité de ce système devint elle aussi légendaire. Et Kusai-3, future Ton, était formidablement placée sur le plan territorial, à la croisée des routes commerciales interplanétaires de Kalam. Son pouvoir n'en fit que grandir. 8280. Alors même que la piraterie spatiale battait son plein sur les routes commerciales du système Kalamite, Ton disposait en théorie de la plus vaste flotte commerciale de la confédération. Elle produisait à elle seule 42% des vaisseaux utilisés dans tout ce territoire et décrocha même un contrat pour la fourniture aux autorités policières confédérées de navettes rapides, susceptibles de s'opposer aux nefs pirates. Mais Kusai et Kalam étaient en proie à une activité politique des plus considérables : La piraterie s'attaquait à présent de plus en plus hardiment aux routes Kalamites et interstellaires, et la perte financière des grandes compagnies devenait intolérable. Quelques 300 ans plus tard, Le mécontentement général grondait. Ton possédait de facto l'autorité politique et économique de tout le système. Les plus grandes compagnies y avaient leur siège. Un mouvement politique vu par beaucoup comme une émanation des lobbies se battait dans l'hémicycle pour l'indépendance totale de la confédération, seul moyen d'après eux de disposer de leur propre force de police afin de contrer ces pirates. Tous ces souvenirs plongeait Ole dans une douce langueur. Guidée par la main sûre du module, il commença à s'assoupir.

CHAPITRE 3 La Mission

Ole, filant dans sa bulle, tour à tour aveuglé par les feux de routes et l'obscurité oppressante des anciennes voies rapides basses, sortit brusquement de son demi-sommeil. « 8583 ». On s'acheminait vers cette date apocalyptique, le dixième millénaire. En attendant, il percevait encore les tensions politiques extrêmes, les affrontement dont était l'objet la capitale. Alors qu'il commençait à peine à dissiper les brumes de son cerveau pour envisager toutes les missions possibles qu'on lui affecterait, sa bulle fit une brusque embardée et plongea dans un petit tunnel à droite. Ole n'eut pas le temps de réagir que déjà un sas se refermait derrière son module qui freina brusquement. Pris dans la lumière nacrée d'un puit à gravitation, il se mit à grimper sans cesse. Ole frissonna. Ce n'était pas sa route habituelle, on l'en avait dérouté. Quelqu'un contrôlait son module. Pendant qu'il mesurait l'étendue de sa vulnérabilité dans le vrai monde, le module n'en finissait pas d'être aspiré vers le haut. Les niveaux et leurs sas défilaient de manière ininterrompue mais l'esthétique particulièrement sobre et d'une propreté absolue lui indiquait, de même que ça et là les grands logos informatifs en parfait état, qu'il se trouvait dans une tour moderne. Cette tour n'avait rien à voir avec le central de la police virtuelle des bas quartiers, elle l'aspirait vers un destin qui le remplissait de crainte autant que d'enthousiasme. Qui aurait pu lui en vouloir ? Qui aurait pu remarquer ses « prouesses » récentes, qui aurait pu passer l'éponge sur son échec lamentable qui le raya de listes d'agents de la police de classe 1... Sa défaillance n'expliquait pas tout. Son origine trouble et peut-être issue de fonctionnels des bas-fonds avait joué contre lui. « Ils ont les informations que j'ignore » pensa t-il souvent résigné. Il savait en son for intérieur qu'il n'avait aucune chance de devenir l'égal des fils et filles des quartiers des tours, favorisés, pour qui entrer dans la police virtuelle n'était pas le métier le plus enviable mais permettait de voyager à satiété. Après une éternité, la bulle se stabilisa à la hauteur d'un sas qui s'ouvrit rapidement. Il y pénétra et vint se ranger auprès d'autres modules. La silhouette d'un homme l'attendait sur le quai. La portière s 'ouvrit sans un bruit, disparaissant dans la structure tandis qu'il s'en extrayait. L'homme s'avança. Il portait un costume uni sans marques distinctives bleu-gris sombre, avec un coupe nette et non corporelle, une coupe ancienne, conventionnelle. Sa coiffe d'occiput était invisible, les tubes synthétiques de connexion invisibles sous une coiffure brune plaquée d'une propreté presque plastique. L'homme avait un visage sans âge et une morphologie ambiguë, presque féminine, le faisant instinctivement reculer, pensant qu'il s'agissait d'un fils ou descendant d'hermas*, et que son intelligence affûtée le percerait à jour. Mais l'homme le salua en touchant sa main du bout de son doigt. La connexion qui s'établit lui fit ressentir son calme et sa bienveillance. Que ce sentiment ait été maîtrisé ou non, il contribua à rassurer Ole. Lui enjoignant sans un mot à le suivre, la mine impassible, il le conduisit dans un couloir silencieux. Le couloir d'une administration. Il pouvait deviner les fonctionnaires et décideurs terrés dans leur couche, travaillant tous en virtuel. Il imaginait ces gens dans ce couloir s'agiter en tous sens dans cet autre monde. L'inconnu s'arrêta devant une porte à peine matérialisée tellement sa jointure était imperceptible. Celle-ci se mit alors à trembler légèrement et disparaître par le milieu, comme une plaque de poussière verticale qui s'effacerait dans le silence le plus absolu, un songe. Ole fit mentalement le rapprochement avec ces murs fait de carbone intelligent et son étonnement put se lire à ce moment puisque se tournant vers l'inconnu, ce dernier tout en lui enjoignant de la main à entrer esquissait un léger sourire plus destiné à vaincre ses frayeurs que par motif de fierté. Ole n'était qu'un homme des bas-fonds. Il traversa le songe et tout en pénétrant dans cette nouvelle pièce sentit une légère résistance presque élastique au moment ou il franchit le seuil. La pièce était en fait saturée d'espèces végétales du sol au plafond. Aucune paroi ne se devinait sous la couverture verte. Ce bureau relativement petit mais totalement vide donnait sur une large ouverture en léger dévers. L'air y était relativement oppressant et chaud. Sentant cette appréhension et ce mal-être, l'inconnu sembla faire un mouvement de la main vers le plafond et une rasade d'air frais en coula. Puis il fit de même vers le sol saturé de petites mousses dont Ole ressentait le contact souple à travers ses fines chausses. Il remarqua les pieds nus de l'homme qui dénotaient sur son apparence martiale. Ce dernier effectua deux légères passes de chaque main et Ole vit se matérialiser, encore à son étonnement consommé, deux formes indistinctes d'une couleur verte virant au beige, une forme biologique qui prit rapidement l'aspect de larges et profonds sièges en conque. Il s'assit sur le geste d'invitation de l'homme qui fit de même. Et celui-ci prit enfin la parole : « Oui, c'est bien encore du carbone intelligent, du MAC*...Vous en verrez bien d'avantage plus tard. » Quittant son air léger et presque paternaliste, il prit un masque des plus soucieux, ses yeux se faisant plus vagues. « Nous savons qui vous êtes, les concours que vous avez passés, votre cursus. Personnellement je déplore que vous ayez échoué aussi prés du but mais certaines personnes, voyez-vous, n'aiment pas que les choses changent. Et ce sont ceux que l'on écoute. Même si tout cela va bientôt n'avoir plus la moindre importance. ». Revenant à un sourire un peu forcé et fixant directement Ole, il reprit : « Je suis Dencan, votre contact pour l'instant. Je travaille pour. ( il chercha ses mots ). pour les services de sécurité de la capitale, le service d'enquête et de. recrutement d'agents de la police virtuelle classe 1. Vous vous doutez bien qui si vous êtes là c'est parce que vous avez une expérience déjà considérable dans le virtuel classe 3. il y a comme vous le savez des différence . d'étendue entre les deux mais globalement ( il fit une pause ) . les principes restent les mêmes. » Ravalant sa salive, il fit une nouvelle pause, visiblement embarrassé et les yeux de nouveau dans le vague. Devant tant de manque d'impassibilité venant d'un descendant d'hermas, Ole pris confiance et sans attendre lui demanda : « Pourquoi avez-vous dérouté ma bulle ? » « Simplement pour vous conduire ici, nous contrôlons tout dans la capitale. Les transports, les véhicules, les destinations. Vous. vous n'êtes pas sans ignorer que la presse en ce moment vient de monter en épingle une nouvelle alcarade dans le parlement Tonite?. » « Oh, je suis la politique de loin en ce moment » « Bien, très bien alors, vous en saurez bien plus avec moi que vous pourrez jamais en apprendre de la presse. . Voyez-vous je me charge de la sécurité des hommes politiques de ce monde ; des députés et délégués des planètes Kalamites. Or, il y a quelques années, nos services ont enregistré un décés, celui de . hum.Reygar Loen si cela vous dis quelque chose. » « Loen. oui, il me semble, ce n'était pas il y a cinq ans, une malchance incroyable, ce porte-parole des loyalistes, je crois, une crise cardiaque sur un site.si je me souviens. » « Oui, c'est cela, une malchance incroyable. et ce que la presse n'avait pas lâché à cette époque, c'est que . c'était une mort absolue. Une mort . totale. Tous les duplicatas réactualisés de son entité éthérique ont étés. détruits. » « Vous voulez dire que .. mais . et ses cellules, détruites aussi ? » « Non, bien entendu, mais cela n'avait aucune importance puisque même cloné il n'aurait jamais retrouvé sa mémoire, son passé, ce pourquoi il militait activement. En fait. cette histoire semblait simple mais fut un casse-tête épouvantable pour nos services. Nous avons d'abord pensé aux plus extrémistes mouvements céssiéssionistes et indépendantistes, aux nationalistes minoritaires du parlement ou à leurs factions souterraines. Mais. Après des centaines d'interpellations et de scanners ethériques, nous n'avons guère eu autre chose que leur sentiment de réjouissance de cette mort qui, pour le grand public était toujours considéré comme accidentelle, mais rien de concret, pas de piste, et en fait, au bout de trois mois d'investigations, aucun début de réponse. » « Et vous voulez que je reprenne cette enquête ? » « Je ne pense pas que l'on aurait fait appel à vous si Loen était resté un cas isolé. En fait, pour sa famille, il à été classé sans suite, ou du moins nous nous sommes résolus à accepter nous même à la thèse officielle de l'accident rarissime. Tout ceci aura abouti comme vous le savez à mettre sur pied une série de nouveaux programmes de protection des interfaces. » ( il adopta le ton de la confidence ) « Mais. trois mois plus tard, Ethel Kuiyang à également été victime du même accident. Comme celui-ci survenait peu avant la mise aux normes des interfaces virtuels, une considérable charge de travail, nous avons encore conclu à un accident, mais . la presse ne l'a jamais su. » « Et pourquoi l'avoir caché ? » « Parce que Kuiyang était. le bras droit, ou plutôt l'ancien bras droit de Loen, son chargé d'affaires, un homme de l'ombre mais qui pouvait fort bien trouver des arguments opportuns contre les adversaires de son parti. C'était aussi un loyaliste. Puis, alors que sa famille fut priée de garder le silence vis à vis des médias pour sa propre sécurité, Gayon, Thol Elessner, Adias Daelim, Vorfura Nell, Caspisia Tenchu, ont également péri en couche sur des sites tous différent et à intervalle régulier. Nous avons eu huit morts en un an, et les derniers disposaient déjà des interfaces réactualisés. Huit morts absolues, définitives, et huit Loyalistes. » « Je comprend, mais comment la presse n'en a jamais rien su, et n'y avait -il vraiment aucune piste valable, un pirate travaillant pour son compte ou en sous mains pour leurs adversaires politiques par exemple? J'ai du mal à le croire. » « Leur famille était prise en charge par nos services et prestement envoyée loin de Ton. Ils vivent toujours dans l'anonymat de planètes terraformées, un exil doré mais une obligation de se taire, toujours pour leur propre sécurité. Ils ne devaient pas êtres découverts. Sur les réseaux virtuels de ces planètes ils ne risquaient pas grand chose à priori. Et puis nous avions nos agents qui les surveillaient. L'une des personnes de l'entourage des victime à cédé devant l'appât du gain, et de révéler ce qu'elle savait. Nous avons agi au moment opportun. Elle est désormais « inactivée » sur un réseau non connecté, et sa famille la croit disparue. Le journaliste qui avait été contacté de façon très indirecte à cherché ses traces pendant un temps mais il à lâché prise. » ( pendant qu'il parlait ses doigts de pied trifouillaient le tapis végétal ) « Et vous avez .inactivés d'autres innocents ? Au fait, pourquoi vous me dites tout cela à moi ? » ( Ole, de mal à l'aise à ces révélations devenait soupçonneux de quelque mensonge et finalement ulcéré. Voulait-on faire de lui un accusateur des Indépendantistes ? Il se balança sur sa chaise prêt à se lever. « Je n'attend pas de vous que vous contactiez la presse, j'ai mieux à vous offrir. En fait, je vous offre tout ce dont vous pourriez rêver un jour ici-bas. » « Si je marche avec vous ? -que voulez-vous en fait ?. » « Faites votre métier, c'est tout ce que nous désirons. Vous en savez la teneur, mais vous n'en savez pas encore toute la difficulté. Tout ceci avait lieu il y a quatre années et depuis les choses se sont calmées. Vous pensez bien que les Loyalistes voyant leurs membres les plus éminents êtres décimés n'ont pas étés en reste pour dénoncer l'incurie de la police Tonite, et des les accuser de d'accointances avec les indépendantistes, ce qui du reste n'était pas faux. La presse elle-même était à présent au courant de ces « accidents » et l'on commençait dans les agences à sentir le « scoop » le plus volcanique, de celui qui balaie les gouvernements. Personne n'était dupe. Mais la presse s'est tenue coi, pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrait pas, et les quelques dissidents ont étés désavoués par leur collègues et ont perdu leur crédibilité. De plus, ils n'ont plus droit à la parole sur Ton. Les services spéciaux de la police virtuelle confédérale, et des agents terriens ont étés envoyés afin de faire toute la lumière, dépêchés par les Loyalistes, bien entendu. » ( pour la première fois Ole décela une imperceptible expression de mépris dans le visage de Dencan. ) « Nous attendons d'ailleurs la visite de l'Ambassadrice de la Terre la semaine prochaine. » « Je suppose que je suis censé régler l'affaire avant sa venue ? » « Oh non, vous aurez toute latitude pour opérer, des mois même quand je songe au nombre de sites qui sont impliqués dans le trajet des victimes. En fait, l'ambassadrice est parfaitement au courant de ce qui se passe ici et se renseignera de toute façon auprès de tous les courants politiques de la planète et du système. Il ne fait aucun doute qu'elle commencera par les Loyalistes qui se feront une joie de la mettre au courant de la machination odieuse dont ils sont l'objet. » « Est-ce que je dois me diriger plutôt sur les milieux indépendantistes pour remonter certaines pistes ?. » « Absolument pas. Vous ne devez opérer que dans la sphère virtuelle Tonite dans son ensemble. Vous avez déjà les codes d'accès de la zone 3, vous aurez celle des zones 2 et 1. Quant aux enquêtes dans les milieux politiques de la part de la terre, et malgré tout leur zèle, ils n'on découvert aucun élément compromettant. Les autorités espèrent que ces perquisitions et intrusions dans la vie de notre majorité politique indépendantiste cessera très bientôt. Mais elle ne pourra le faire que si vous découvrez sur le réseau qui ou quoi se cache derrière tous ces meurtres. Vous remarquerez que j'emploie le terme sans hésitation. Nous sommes persuadés malgré les apparences que ce qui se déroule à pour but de nous mettre en difficultés sur la scène politique. » « Vous dites « nous » ? -Entendez vous faire partie de cette mouvance politique ? » « Tout homme à des convictions politiques. J'aurais du mal à vous cacher que je fais partie de cette obédience, et que ma fonction ne devrait pas en pâtir. En fait, si pour le grand public les chefs et agents dirigeants de la police Tonite sont nommées par les populations locales sur recommandation et sans intermédiaire, les écoles de police, leur personnel enseignant et leurs directeurs sont nommés par les gouvernants en place, qui comme vous le savez sont. » « Ainsi, vous vous affichez clairement en tant qu'indépendantiste ? Eh bien, je suppose que vous auriez plutôt des occasions de vous réjouir de la disparition de vos principaux adversaires politiques. A moins que vous voulez vraiment vous rendre compétents et efficaces aux yeux de la population dans l'optique d'une réélection et afficher le meilleur profil en face de la confédération? » « En réalité, nous voulons surtout ne pas laisser le soupçon peser sur la probité et l'intégrité de nos hommes politiques. L'enquête menée jusqu'ici avec la diligence des terriens n'a rien donné mais mieux vaut la certitude d'un blanchiment qu'un doute sans fin. Vous n'êtes pas sans savoir que notre cause est plus grande que tout ceci. Nous plaidons pour l'indépendance totale de notre système Kalamite vis à vis de la confédération terrienne. Cela fait trop longtemps que la terre impose ses réglementations depuis son propre parlement, et nous estimons qu'elle va à l'encontre de nos capacité de coloniser les mondes voisins. Bien plus grave encore, nous n'avons pas la liberté de nous défendre en face de la piraterie qui à atteint un niveau inégalé. Vous l'ignorez certainement, mais très récemment, ils ont mis à sac la base de Dherra, prés de Lothorrim, et ont embarqué tous les nouveaux composants spéciaux destinés à nos chantiers, de nouveaux assemblages réalisés à partir de Rhédion de la planète Guse-2. ceux-ci sont uniques et nous auraient permis de nous équiper de systèmes permettant d'augmenter nos cadences de 35%. Et nous avions obtenu l'exclusivité de la fourniture de ces composants, une véritable fortune. Mais ni la terre ni nous n'en auront la possession désormais. Et que voulez-vous que les pirates en fassent ? Ils n'ont pas les moyens industriels de les exploiter, et ils la revendront dix fois leur prix à des concurrents bien dotés. Ce n'est encore qu'un exemple de leurs déprédations régulières. » « Et le Shammarin ? » « Le croiseur Tonite, la flotte confédérée, la belle histoire ! Cela fait déjà trois années qu'il est sur place à patrouiller et qu'a t'il fait ?. De deux choses l'une, soit il est inefficace militairement.-et il à été conçu sur des spécifications Terriennes, car nous n'avions pas d'autre choix-, ou bien il est volontairement mal utilisé afin que la piraterie affaiblisse un peu plus nos industries. » « Vous pensez donc que l'indépendance est la solution ?. » « Sans aucun doute, c'est celle de la liberté, le choix le plus rationnel, le plus juste en mon âme et conscience. Et je ne doute pas que la population se sera entièrement ralliée à notre cause d'ici quelques temps. » « Vous n'avez pas peur de la flotte Confédérale ?. » « Les autorités sont confiantes. Nous avons quelques atouts à jouer, mais ce tueur est une sacrée épine dans notre pied. » « Admettons que j'accepte cette mission et donc d'adhérer à votre mouvance politique, qu'est ce que vous offrez en échange ? » «  je ne vous demande aucunement d'adhérer à notre mouvement, quand bien même vous seriez du bord Loyaliste, n'auriez vous pas envie de mettre fin aux assassinats qui déciment votre mouvement ? Grâce à dieu nous vivons dans une cyberdémocratie ! Nous avons besoin d'une opposition, de toutes les voies pour continuer le dialogue, d'avancer ensemble. De nombreuses épreuves nous attendent, dont la piraterie -qui ne fait aucune distinction politique- n'est que la moindre. Considérez donc qu'il s'agit d'une mission officielle émanant des plus hautes autorités de la planète. Je ne vous demande pas de nier avoir eu connaissance d'une telle mission mais il s'agira néanmoins, lorsque vous aurez retrouvé le responsable de tout ceci sur le réseau, de nous faire part de sa nature et de l'éliminer. de la façon la plus drastique. Vous obtiendrez en échange, en plus d'un accès illimité à vie sur tous les réseaux virtuels des mondes connus un permis de passage et toute une brochette de passeports vous permettant de faire de même sur les mondes réels. Nous vous attribuons un vaisseau en cas de besoin mais vous comprendrez qu'il vous faut axer vos recherches sur Ton même. Allez sur les sites des meurtres, interrogez de la façon la plus efficace, nous vous couvrirons. Tant que la piste est chaude, nous ne devons pas vous arrêter. Il faut savoir, mais ceci n'est pas officiel, que plusieurs industriels et propriétaires, directeurs dont la sympathie politique -selon nos sources- était du côté loyaliste sont également décédés de cette façon atroce ces derniers temps. » ( S'apprêtant à se lever, Dencan ajouta : ) « Nous vous allouons une dotation immédiate de 350 000 ICU* pour vos frais immédiats et vous recevrez le reste une fois votre mission achevée -un peu plus de dix millions. Il va sans dire que si vous avez besoin d'une dotation en cours de mission pour quelque raison que se soit, nos vous transféreront la somme sans attendre sur votre interface neural. » « Une bien belle somme, un peu trop importante pour une simple enquête policière. Hum . Et s'il me prenait la fantaisie de contacter la presse, vous m' 'inactiverez' également je suppose, dans les plus brefs délais ?. » « Qu'auriez vous à gagner dans cette histoire ? Allons, s'il vous prenait cette envie il va sans dire que cette mission s'achèverait sur le champ pour vous j'en ai peur. Il existe d'autres agents aussi méritants que vous vous savez ?. » «  Ou suicidaires. mais la presse doit au moins en savoir quelques chose ou voulez-vous le « secret militaire » en la matière. » « Pas par vous. C'est une mission tout à fait officielle, je vous l'ai dit. Ayken, le porte-parole du gouvernement sur les affaires policières, et mon collègue, se chargera de faire un communiqué dés lors que vous aurez entamé votre mission si vous l'acceptez. Nous seront régulièrement tenus au courant de vos progrès grâce aux contacts que vous aurez avec nos agents locaux. Qui plus est, nous aurons peut-être encore un entretien en cours de mission, si je ne suis pas retenu ailleurs. C'est en effet moi et personne d'autre que vous pourrez contacter pour tout ce qui concerne la mission. Je vous entretiendrait sur les progrès que nous nous faisons de notre côté. Au fait, vous vous doutez que mon nom n'est que d'emprunt, ce sera en tout cas celui que vous utiliserez pour toute communication avec moi. » Sur ce, il se leva tandis que son siège disparut dans le sol. Ole fit de même et ils se dirigèrent vers la porte cachée sous des monceaux de feuilles colorées. Ole se retourna en s'apercevant que pendant tout l'entretien ils n'avaient jamais fait face à la baie vitrée, puis fit mine de s'y diriger. Dencan lui permit de s'en approcher et de contempler la ville s'étalant en contrebas. Les rayons de Kusai peinaient à transpercer l'épaisse couche sale de volutes qui barraient le ciel, et de lourdes vapeurs grises passaient devant la vitre, certaines montant des tours en contrebas. Celle qu'il arpentait était des plus étranges mais possédait une hauteur relativement modeste en comparaison des autres. En s'approchant de plus prés, Ole remarqua que la vitre elle-même n'était pas aussi pure qu'elle n'en avait l'air. S'en approchant d'avantage, ce qu'il avait pris pour un léger voile de crasse jaunâtre se révéla être en fait un très dense et minuscule réseau de veinules rayonnant autour d'un réseau qui semblait prendre naissance dans le sol, tel une arborescence bien dessinée mais apparemment chaotique. Il en approcha le doigt, ne sentant pas d'opposition de la part de Dencan, et sentit le contact lisse et souple de la membrane. « Du Coldoen des Grinen. » Précisa t-il. « En fait tout notre immeuble est issu des adaptations locales de cette civilisation symbiotique. Il s'agit d'un mélange de végétal et de carbone intelligent. Mais ce bâtiment à terminé sa croissance. Il se nourrit grâce à toute cette sorte de jungle de paroi, et grâce à nous, qui avons notre petit rôle à jouer dans cet équilibre.Si cela vous intéresse, faites donc un tour sur le site des Grinen de Ton. Ils se feront une joie de vous expliquer leur technologie. » A cette évocation des Grinen, les yeux d'Ole brillèrent soudain d'un éclat d'innocence retrouvée. Ô souvenirs de la lointaine enfance ! Cette légende de mille ans sur ces peuples si mystérieux, les hommes-plantes ! Il se remémora que certains avaient tenté avec succès l'adaptation de leurs techniques symbiotiques dans leurs monde, mais l'échec était souvent au rendez-vous. Il quitta la tour et fila dans son module gonflé de l'enthousiasme de telles promesses de découvertes. Il ne se rappelai plus à présent d'avoir accepté, et devant l'empressement de Dencan et le caractère très ambigu de sa mission, son humeur redevint maussade.

CHAPITRE 4 - Eden

Aaricia était sans doute une femme remarquable. Elle avait un physique absolument fidèle au plus étroits canons de beauté Terrienne, les cheveux châtain clair légèrement ondulés, des yeux verts, un teint mat, une taille élevée et des membres graciles qui témoignaient de la naissance de ses ascendants Vénusiens qui immigrèrent sur Mars cinq cent ans auparavant. Sa famille était d'extraction modeste mais la dernière génération, celle qui l'avait vu naître, s'était hissé au rang de famille aisée en devenant la conseillère officieuse des puissants. Les soirées fastueuses avaient lieu aussi souvent que le leur permettait leur ennui latent. Dans cette villa majestueuse à flanc de falaise en Ecosse, les salles monumentales témoignaient d'une envie de paraître à la hauteur des invités. Les jardins regorgeaient de sculptures en carbone intelligent qui reproduisaient alternativement les oeuvres réelles les plus en vue des dernières galeries terriennes. La sobriété de la végétation, entretenue cependant avec un zèle scrupuleux, soulignait la présence de ces sculptures qui en étaient véritablement le point d'attraction essentiel. Quant à l'intérieur des pièces de réception et intermédiaires, les murs hébergeaient une profusion artistique tout aussi vertigineuse, les vastes surfaces des plaques murales holographiques faisant une présentation inspirée d'autres fleurons de l'Art martien et Vénusien, et devant, des étagères transparentes en cristal d'une finesse les rendant quasi indécelables faisaient assaut de sveltes antiquités en provenance de tous les systèmes connus. A leur approche, de petits voiles holographiques se tendaient au bas de l'ouvre afin de conter sa provenance et son origine par des animations d'une fluidité confondante. Chendon, le père, possédait un physique indubitablement vénusien et des qualités « latines » qui en faisaient un incomparable négociateur. Il avait bâti sa fortune en commissions grâce à ses entremises entre les pouvoirs financiers et les politiques. Encore très influent, il avait toujours décliné les offres des différentes factions qu'il avait servi afin de rester toujours disponible au plus offrant, utilisant son don de l'observation afin d'en rapporter des renseignements intéressants à ses commanditaires. De facto, sa vie avait été et restait encore une suite de déjeuners et dîners de restaurants, de soirées et réceptions sur les différents mondes du système solaires et aussi d'Alpha du Centaure, les plus vielles sphères d'influence du pouvoir Confédéral. Il continuait à présent, en raison de son âge prononcé, son orgueil l'empêchant d'envisager une réincarnation ou toute implantation virtuelle définitive, à se battre avec ce qui lui restait de corps, faisant usages des différentes médecines en vigueur sur les mondes parfois les plus lointains. Son médecin personnel veillait à lui apporter ce qui pourrait, à n'importe quel prix, apaiser ses caprices. Sa réputation faite, il se contentait de rares voyages et préférait consulter ses contacts en virtuel. Il gérait ensuite chaque réception, même la plus informelle, de façon à ce que son interlocuteur en ressorte toujours certain de posséder un détail que personne avant lui n'avait perçu. Son épouse était en revanche martienne et de très bonne extraction. Grande créature scandinave, elle descendait d'une famille qui tenait des fonctions diplomatiques à l'ambassade Terrienne sur Mars, avant de devenir le principal interlocuteur des Autorités politiques en tout ce qui concernait le développement industrielle de l'ex-planète rouge. Ce fut elle qui conçut cette villa d'Ecosse comme le lieu de réception le plus prisé de l'Ancienne Europe. Privilège parmi les privilège, d'une rareté diamantaire, ce fut elle qui persuada son mari d'obtenir une domiciliation sur la planète bleue, sanctuarisée. Les excellentes relations qu'elle cultivait avec les autorités Terriennes se complétaient admirablement avec les capacités de négociateur et de scrutateur de la nature humaine de Chendron. Des capacités d'organisation qui la firent mettre au point des voyages leur permettant à tous deux de profiter de vacances somptueuses tout en sacrifiant quelques heures de leur temps à des entretiens profitables. Ledda Porfirio faisait ainsi penser à sa fille Aaricia que le mariage lui-même était une formalité savamment calculée. Aaricia qui avait poussé au milieu des fonctionnels de cette grande villa vide de ses parents, avait cependant disposé de toutes les facilités d'apprentissage et du contact régulier avec les clones virtuels de sa mère et de son père, accumulant pendant la gestation en matrice des quantités remarquables de conseils de vie et d'obligations de bienséance. Son père insistait lui, sur les signes extérieurs se lisant sur le visage, une activité dans laquelle il était passé maître puisque la télépathie faisait partie de ses méthodes. Il s'évertua, peu après sa naissance, à lui prodiguer tout un langage facial et visuel, basé uniquement sur des expressions du visage contenues. A douze ans sa fille l'étonnait tant ses perceptions se révélaient affûtées. Aaricia se souvenait d'avoir passé des heures à se tenir au milieu des réceptions, présente dans toute sa candeur et observant, tous ses sens en éveil, les comportements, les mimiques, à dénicher derrière les regards, les rires, les tenants et aboutissants de ces conversations faussement superficielles, les faux semblants, les jugements après coup. Elle apprit à voir dans les yeux plus ou moins ouvertement attendris de ceux et celles qui ne manquaient pas de la remarquer, la bêtise, la curiosité sincère, l'intérêt futile, expédié en deux questions auxquelles Aaricia feignait de comprendre la teneur à demi-mot, et parfois un sombre désir que ses formes fraîches ne manquaient pas d'attiser. Quarante années s'étaient écoulées et Aaricia avait succédé à sa mère dans ce rôle, y ajoutant des qualités rares insufflées par son père. Elle avait cependant choisi son camp et suivait le mouvement politique dominant à l'assemblée, le seul qui existe en majorité écrasante, mais suffisamment ouvert aux dissidences pour les intégrer toutes. Elle était tout à fait consciente que sur le plan idéologique, ce « parti » qui n'en était pas vraiment un, était bien plus enclin à être pour que contre. Ainsi, ce parti intégra rapidement le principe symbiotique des Grinen mais l'interdit sur terre pour éviter toute « contamination » du biotope originel. Il était pour la conquête spatiale sans limites ni réserves mais contre la violation des planètes sur lesquelles la vie avait à l'origine toutes ses chances. C'est elle aussi qui déclarait la Terre sanctuaire mais permettait que plus de dix mille terriens aisés y vivent en dehors de toute convention et de la sacro-sainte loi de sanctuarisation que la commission de colonisation faisait respecter. Aaricia avait cette chance unique, celle de faire partie des rares privilégiés à vivre sur le monde à l'origine de tous les autres. Le berceau de la race humaine avait été le sien, et ceci alors que soixante-dix trillards de ses congénères vivaient qui dans les stations spatiales, qui dans les mines des rocheuses loin de tout, ou sur des astéroïdes, ou bien dans des mines de gaz dans l'atmosphère de quelque géante fauve, et à peine plus de la moitié sur des mondes respirables. Mais aucun n'était semblables à la terre. On disait « terraformer » depuis la nuit des temps, mais tout le monde savait que l'on disait « coloniser » et que ce vieux terme entretenait une puissante nostalgie, une chimère physico-chimique, un espoir et un hommage à la mère éternelle de tous les hommes. Mars avait été un monde glacé, Vénus un monde brûlant. Combien de mondes encore possédaient tant de différences. Parfois la nature implantée de force se transformait, la planète atteignait son équilibre et devenait du coup hostile aux êtres humains. Ceux-ci devaient alors être transformés par la magie noire de la génétique en êtres parfois surprenants, loin de la race humaine mais pourtant intégrée à elle. Des extra-terrestres fidèles à l'idée que les primitifs d'avant le début de la conquête spatiale imaginaient. Si Aaricia avait parcouru cette lande à cheval des milliers de fois, elle avait aussi parcouru le reste de ce monde d'est en ouest et du nord au sud. Des voyages qu'elle s'organisait durant son passage à l'âge adulte, des visites qu'elle rendait aux grandes familles ou aux scientifiques qui prospectaient à la recherche de ce fabuleux moteur de la vie, cette licorne blanche que l'on voulait mettre en conserve afin de la lâcher sur tous les mondes hostiles aux hommes, cette bonne fée qu'était Gaïa. Elle avait visité les restes des anciennes civilisations disparues, les grandes Capitales dont le souvenir s'était perdu. De la poussière. Partout les cités avaient été laminées et réduites en poudre jusqu'aux fondations. Après le grand départ des glaciers lors de la petite glaciation, les paysages du Nord et du sud en avaient étés chamboulés. Depuis la nature avait plus que jamais repris ses droits et en tous lieux ou se dressaient jadis les restes des anciennes cités, les capitales, occidentales, asiatiques, arabes, s'étendaient conifères, forêts, landes, déserts, savane. Une faune s'y développait sans barrières. La terre avait été répliquée virtuellement et chacun des citoyens pouvait se connecter à sa version locale de la terre. Mais Aaricia détestait le virtuel. Elle le méprisait tout en ne le connaissant que par références théoriques. Ses parents s'étaient toujours opposés à ce qu'elle soit scannée, qu'on lui remplace le cuir chevelu par une coiffe synthétique d'interface. Seule son entité éthérique était conservée, et elle la réactualisait sur le réseau familial sécurisé pour les grands de ce monde. Ou qu'elle aille, elle s'était imprégnée du meilleur. Le reste du monde connu l'attendait. Elle avait été sur Mars, sur vénus, mais n'avait jamais dépassé ce stade. A présent on lui demandait d'aller plus loin qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Elle repensa, tout en effectuant les préparatifs de son départ, comment tout cela avait commencé. Conseillère du directeur de la commission commerciale Confédérale, elle avait été pressentie pour devenir conseillère du directeur des relation diplomatiques. Les années avaient passé, sa connaissance encore affermie et lorsque les grands de ce monde ils jugèrent bon, ils lui accordèrent l'insigne honneur d'en faire la première Dame des services extérieurs. Ceci ce déroulait en soirée, une réception informelle organisée par sa mère pour l'anniversaire de Chendron. Les invités étaient bien entendu de marque, il y avait notamment son ancien directeur et plusieurs de ses collègues, ainsi que le chef d'état major de la flotte, qui jusqu'ici n'avait pas encore foulé le sol de cette résidence, au côté des habitués qu'étaient Le directeur de la commission des transports, celui de l'industrie lourde, celui de la police virtuelle Martienne, et le second assesseur de la principale compagnie de portes hyperluminiques, la Transgat Cie. La soirée, après bien des bavardages d'usages et dernières nouvelles échangées, changea de nature lorsque Ymarr Legeas, le directeur des relations diplomatiques, prit Aaricia à part pour lui demander la permission d'utiliser le petit salon de la résidence afin d'organiser une réunion en comité réduit. Si Ledda ne s'y opposerait pas en tant qu'ancienne maîtresse de maison, Aaricia savait qu'une telle réunion ne pouvait se faire qu'avec son concours. Elle alla s'entretenir avec elle, cette dernière s'excusant platement à ses invitées le temps de se mettre à l'écart, et après un bref moment d'expectative, fut prête à accepter. Elle organisa alors un petit jeu culturel léger dont elle avait le secret dans les jardins le temps d'éloigner les femmes et compagnes tandis que leurs maris, informés discrètement par Aaricia mais mis au courant depuis longtemps par Ymarr, se regroupèrent, le verre encore à la main, vers le petit salon dans lequel trônait une magnifique table de Lenuer, un bois d'ornement extrêmement robuste des grandes jungles Vénusiennes, et qui servait à identifier du premier coup d'oil la fortune de son propriétaire. Les lourds battants de bois automatisés se refermèrent derrière eux et le silence, sitôt les convives assis, se fit place. Aaricia, qui ne savait encore ce dont il était question resta debout prés d'Ymarr, qui lui parla tout en étant tourné alternativement vers ses invités. « Ma chère, si nous avons improvisé cet impromptu ce soir, c'est pour pouvoir vous annoncer deux nouvelles pour lesquelles je préférerais que vous soyez assise. » ( ce qu'elle fit, hésitante ). «  La première, c'est une nouvelle vous concernant immédiatement. Vu vos états de service, et mes confrères sont unanimes à reconnaître vos précieuses compétences, nous avons jugé qu'il était temps de vous confier un poste à plus haute responsabilité.Nous songeons en effet à vous nommer en poste à l'Ambassade Tonite. Vous y représenterez la terre. » ( Aaricia, à ces mots, sentit une vagues d'émotions contradictoires la submerger. Elle tenta de feindre l'indifférence reconnaissante. ) Ymarr continua, froid comme celui qui à mûri une décision depuis l'aube du monde. « L'ambassadeur en poste actuellement, Jedd Tucho, est un homme certes remarquable, mais s'il est un diplomate de l'ancienne école, nous . craignons que son jugement sur l'élite politique locale soit quelque peu abusé. En effet, nous avons toutes raisons de penser que les Autorités Tonites ont envers leur population une conduite démagogique consommée, qui cache un réel désir d'indépendance. Vous le savez, cela est de notoriété publique, la piraterie cause de grands dommages à leurs routes commerciales comme aux nôtres. Leurs pertes ont certes sensiblement augmenté ces derniers temps, mais rien d'insurmontable pour les moyens de maintien de l'ordre dont nous disposons sur place. Le croiseur confédéral construit par cette planète pour la défense du système dispose de tous les moyens technologiques pour venir à bout de cette menace dans ce secteur, or depuis qu'il est en campagne, il n'enregistre que des résultats décevants. Son commandement en incombe à l'Amiral Yaddor, un proche de Tunar Gamballen, le premier représentant de l'autorité Tonite et président du groupe des indépendants au sein de leur assemblée. L'amiral yaddor ( il se tourna vers le chef d'état major ) à fait ses classes avec le général Mirrnan, présent ici ce soir exceptionnellement. Nous avons toutes les raisons de penser que Yaddor fait traîner les choses et ne se sert pas de son escadre d'une façon suffisamment offensive. » ( Mirrnan, homme massif à la voie grave et empâtée se tourna vers Aaricia ) « Cela fait longtemps que je connais Yaddor, il se conduit de façon trop timorée sur le terrain. Ce que je sais de sa situation et de ses moyens me paraît invraisemblable au vu des résultats obtenus. Pour n'importe quel commandement, il aurait été relevé de ses fonctions. Je pense qu'il agit en fait pour les intérêts de son ami Gamballen, et c'est un fidèle parmi les fidèles. » Aaricia, qui jusque là avait écouté religieusement ces nouvelles et révélations, s'empara du premier silence disponible : « Mais quel est le rapport entre la piraterie et l'indépendance Tonite? » Ymarr répondit aussitôt : « Question que nous nous posons depuis longtemps déjà. Ton à des aspirations à l'indépendance depuis fort longtemps déjà, des siècles en fait. Le premier à en parler fut Lamarr Dane, un nationaliste virulent et tribun hors pair. Il à disparu dans des circonstances qui restent à élucider, mais des bruits courent selon lesquels ils existerait toujours sur le réseau, n'apparaissant qu'à ceux qui veulent bien le contacter. Nous leur avons donné l'autonomie politique comme vous le savez peut-être en 7960, mais un mouvement jusqu'au boutiste à fait son apparition depuis, rassemblant de plus en plus de partisans sous sa bannière. Des mouvements sécessionnistes et Nationalistes très minoritaires les ont rejoint depuis, et aux dernières élections qui remontent à quatre années, ce mouvement indépendantiste, la « ligue de la liberté », regroupant différentes tendances hétérogènes, à gagné les élections. Ils tentent depuis de rallier la population à un projet d'autodétermination visant à se détacher totalement de la confédération. » Mirrnan repris la parole : « Nous pensons que les autorités Tonites font en sorte que les pirates prennent de l'importance afin de critiquer plus ouvertement notre inefficacité. C'est difficile à croire sachant que la prospérité économique repose sur le commerce, mais ils placent peut-être leur indépendance au-dessus de tout le reste. Savez-vous que nous leurs avons proposé de leur envoyer les croiseurs Sagan et Ballgordat, et qu'ils ont refusé ?. De même, ils viennent de fournir à nos services de police d'excellents petits chasseurs d'escorte en grande quantité et en un temps record. Nous avons proposé de les affecter dans leur système et ils ont décliné l'offre. Nous leur avons même proposé de lancer la production en masse de petits chasseurs d'escorte pour leur propre usage, allant même jusqu'à leur promettre de les racheter les troubles finis, et ils ont laissé cette idée sans suite. » Acquiescant de la tête, Ymarr reprit : « Oui, cela ne fait aucun doute, ils profitent de la piraterie pour surfer sur une vague de mécontentement et réussir légalement à se détacher de la confédération. Or, sur ce point vous le savez comme moi, les autorités centrales s'opposent à ce que Ton quitte la confédération, et ceci à tous prix. D'abord parce que le système kalamite est le plus vaste et le plus prospère des mondes colonisés, sa perte serait considérable pour la santé économique Terrienne, -les Tonites parlent même d'autarcie économique et commerciale-  mais encore parce que ce serait un exemple à suivre pour tous les systèmes déjà sensibles et chatouilleux des confins des zones colonisées qui supportent mal ce qu'ils appellent notre « tutelle ». Une nouvelle qui ferait l'effet d'une bombe. Nous perdrions environ 50% de nos territoires immédiats, bien plus à l'avenir, et bien d'avantage encore sur le plan économique car les derniers systèmes découverts, comme vous ne le savez que trop bien, sont les plus dynamiques et les plus porteurs en terme de croissance financière. Mais surtout, et bien plus que tout ce qui peut être dénoncé, la totalité du solide édifice qui existe depuis cinq mille années s'écroulerait comme un château de cartes. Il n'y aurait plus d'autorité, la flotte, garante du maintien de l'ordre disparaîtrait laissant la place libre aux pirates et contrebandiers, aux pilleurs de planètes et de stations longtemps contenus, cette marée d'anciens fonctionnels devenus parias nous rendraient les ce que nous leur avons fait subir les siècles passés. Nous perdrions aussi tout pouvoir d'empêcher les colons résolus de prendre de force les sanctuaires, mais aussi de s'installer et d'exploiter tous ces mondes dits « primitifs » au goût de certains, mais qui trouvèrent bien avant eux leur équilibre. Tous nos idéaux partiraient en fumée. Nous aurions la guerre pour les ressources, les territoires, une guerre sans fin, un holocauste. Nous voulons éviter cette catastrophe à l'échelle biblique. Des trillards d'êtres humains sont heureusement encore pour la plupart inconscients de l'épée de Damoclès qui pend au-dessus de leur nuque... » A cette dernière envolée aux accents presque lyriques, l'assemblée éclata en paroles mi-paniquées et défaitistes, mi-belliqueuses. Aaricia, qui n'envisageait qu'un poste certes prestigieux et lointain mais somme toute une carrière conventionnelle couronnant sa carrière, se sentit peu à peu porter le poids de tous ces innombrables destins qui allaient basculer dans le vaste théâtre des ambitions. Le Jardin était frais sous la brise légère venant de l'ouest. La rosée s'était déposée, une rosée légèrement salée, mêlée aux embruns qui brillait de mille feux sous les premières lueurs de l'aube. Aaricia, enveloppée d'un châle trônait en haut d'une sculpture-banc CIM* pour contempler la mer au loin, insouciante et apaisante. Sa mère s'approcha, toussant comme à son habitude à cette heure matinale. La sculpture-banc se mit à changer de forme, s'élargissant tout en revenant au sol. Le jardin tout entier, les dômes brillants des vastes serres chacune abritant dix mille espèces de chaque continent, commençait à étinceler, répondant à la mer, constellée de milliers de touches de peinture d'un improbable mauve orangé. « Alors. » dit Ledda, s'asseyant au côté de sa fille et la prenant par l'épaule, une marque d'affection inhabituelle qui fit sentir à Aaricia qu'elle était au courant de ce qui avait eu lieu et ne faisait que sonder ses impressions. « Alors, c'est fait . » souffla t'elle, les lèvres un instant crispées, la glotte remontant et se serrant. « Ils m'ont nommée ambassadrice.sur Ton » elle se retourna et fixa sa mère. Cette dernière, habituée à la télépathie qu'elle menait à présent avec son mari dans ses dernières heures échangea un long regard avec sa fille, qui lui demandait ce qu'il devait en advenir. La confiance et l'inéluctabilité se lisait dans le regard de Ledda. Aaricia se rappelait se rappelait les journées passées à courir dans les innombrables couloirs et salles des villes-tours, la folie urbaine personnifiée écrasante par son gigantisme encore plus palpable pour son petit âge, l'énergie débordante que l'on y rencontrait en même temps que le désespoir le plus profond. Et le fossé la séparant de son jardin d'écosse était d'autant plus abyssal. Son éden. Elle frissonna en pensant à la fébrilité extrême qui devait y régner à présent et mesurait encore toute la gravité de ce que l'on allait lui demander. Elle n'y connaissait personne, et les anciens amis de ses parents devaient depuis longtemps n'exister que sous forme virtuelle, les autres ayant fui vers quelque autre monde plus vert. Personne. Sinon les contacts qu'on lui avait signifié durant cette soirée réunion informelle, secret parmi les secrets. « Peut-être est-ce mon destin d'être là ou tout va se passer ». songea t'elle. Elle savait pertinemment que d'ors et déjà elle aurait une célébrité historique supérieure à celle de ses parents, plus certainement dans l'ombre. Mais l 'heure n'était pas à penser à ce qu'elle ferait sur place. Il fallait encore tenter de s'imprégner de la quiétude des lieux une dernière fois. Son regard se posa sur la mer une fois de plus, que l'on devinait à travers la grille du feuillage, une végétation modifiée par croisement pour supporter l'acidité de la rosée matinale et des vents chargés de sel. Elle s'attarda sur les autres sculptures, que leur revêtement si particulier se fondait et renvoyait, réinterprétait en permanence dans un ballet silencieux ces lumières matinales. Puis il se porta sur la résidence familiale, toute de briques rouges vêtue comme il se devait en cette partie du monde, avec ses immenses baies vitrées sous des arches au rez-de chaussée, et derrière les serres accolées ou séparées du bâtiment, la lande à perte de vue, perdue dans le brouillard comme de toute éternité. Elles prirent ensuite le chemin de la maison, que les robots domestiques avaient rendue immaculée, se préparer une légère collation. Aaricia partait le soir même. Le reste de la journée devait n'être que préparatifs. Enfin, comme la journée s'achevait, une journée affairée mais ponctuée de ballades, elle se dirigea vers son module nantie de la carte cristalline sur laquelle pouvait s'afficher à tout moment ses codes diplomatiques. Vinrent ensuite, alors que l'obscurité devenait palpable, les « adieux », car elle savait au fond d'elle même que se serait quelque chose de suffisamment trouble pour la retenir longtemps. L'ambassade de la terre sur Ton, c'était aussi celle de la confédération tout entière, une institution devant laquelle d'innombrables manifestations sécessionistes avaient lieu. C'était le lieu qui personnifiait tout ce que pouvaient détester ceux qui honnissaient le pouvoir central, une opposition aussi vieille que l'humanité elle-même, et c'est cette longévité et cette constance qui en faisait la plus redoutable adversaire de la paix. Un dernier regard sur la lande, tandis qu'elle s'asseyait dans le baquet confortable de son module, puis ce dernier, mû depuis de générations par une petite turbine AMAT* qui n'émit qu'un faible grésillement se souleva de son support et fila sur la lande en direction de l'intérieur des terres. Là, elle visa le portique de la seule et unique route magnétique de la planète, qui ne faisait qu'un virage en écosse avant de rejoindre la Scandinavie puis la Russie. Une fois le signal donné, sa bulle se glissa sur des rails immatériels et un duvet impalpable mais pourtant bien présent de par la pression qu'il exercait sur son corps se fit sentir dans l'habitacle afin de supporter l'accélération formidable, les G qui se succédaient.Le paysage à présent n'était plus visible que sous forme de traînées tandis que l'obscurité gagnait, elle plongeait rapidement au coeur des ténèbres, de fuseau en fuseau. Il devait être minuit localement lorsqu'elle arriva dans l'unique Astroport terrien, une simple entrée souterraine. La porte des étoiles passait par les profondeurs. Son module vint se ranger automatiquement parmi quelques autres, tandis que ses poumons recommençaient, la pression relâchée, à se remplir pleinement. Quittant son module, elle se dirigea vers le terminal. Là, une petite équipe l'attendait, dont Ymarr, aucunement soucieux. On lui présenta ses assesseurs et futurs collègues, l'équipe diplomatique ayant été remodelée dans les plus hautes sphères. Puis ce fut le tour d'un homme sans âge, grisonnant, petit et râblé, rompu de fatigue mais l'oil vif et sincère. Il se leva lorsque Aaricia entra dans le hall, et fut prestement présenté par Ymarr : « Voici, Londrenn, votre principal contact sur Ton. C'est un Tonite de longue date infiltré dans les plus hautes sphères du pouvoir, notamment de la majorité actuelle. C'est aussi un des meilleurs connaisseurs de la vie politique locale ainsi que des différentes « paroisses » et castes d'influences. » L'intéressé, qui n'avait pas cillé lors de l'énoncé de ses qualités, s'avança pour saluer à la manière Tonite, le bout de son doigt effleurant celui d'Aaricia, il lui transmit en un instant un ensemble de sentiments et de souvenirs destinés à la mettre en confiance, ce qui surprit cette dernière. Elle pensa qu'il était pour le moins étrange que cet homme de toute évidence de basse qualité et immigré de quelque planète lointaine colonisée avec de frustres moyens, possède cette science des contacts psychiques propres aux Hermas. Cela lui causa un certain trouble qu'elle ne laissa aucunement apparaître mais qui aiguillonna furieusement sa curiosité. Londrenn, comme s'il avait deviné ce qu'elle chercherait alors à percer, eu un regard fuyant, démentant ce qu'il venait de faire, comme s'il eut voulu cacher cet accueil et ce don si particulier à ses correlegionnaires. Il prit la parole, d'une voix douce et effacée : « En effet, je pense pouvoir vous aider à mieux préparer votre travail sur place, ce sera un honneur de travailler avec vous. » Se raclant la gorge, il reprit plus assuré :  « Nous en discuterons tout le long de notre voyage, mais comme vous le savez, la situation sur Ton est des plus troubles actuellement, j'espère devenir votre décodeur là-bas. » Ymarr, qui semblait s'impatienter, ajouta d'un ton sec : « Aaricia est au courant déjà de l'essentiel, il s'agit surtout de lui permettre de cerner certains des membres de la majorité sécessionniste. Quant à la mission officielle, elle est de prendre contact avec les autorités afin de leur signifier. la fermeté Terrienne. » Celle-ci rétorqua, sur un ton ironique :  « Oui, en fait je suis un oiseau de mauvais augure, je vole le rameau d'olivier pour le remplacer par un gourdin. » « Allons, ne dramatisez pas, vous savez parfaitement que la confédération dispose de moyens plus que suffisants pour remettre Ton sur le bon chemin. N'oubliez pas qu'il s'agit surtout de savoir pourquoi ils ne parviennent pas à venir à bout de la piraterie et refusent notre aide, de la réponse à cette question dépendent bien des opinions dans le conseil Terrien à son sujet. Il est évident que les autorités nous cachent l'essentiel, il vous reste à savoir quoi. Bien, je crois que nous avons le tour de la question pour l'instant, il ne me reste qu'à vous souhaiter bon voyage et je vous fais confiance pour le reste. Vous êtes fort bien entourée. » Aaricia se dirigea avec ses assesseurs vers un sas ouvert sur la paroi cylindrique d'un conteneur standard, tel ceux qui étaient utilisés dans tant de mondes, et avait ici été reconverti en une sorte de salon luxueux, fait de tables, de couchettes séparées et d'aménagements aptes à permettre des séances de travail efficaces. Ymarr ajouta, d'un ton amusé, remarquant l'air dubitatif d'Aaricia : « Oui, c'est surprenant, nous avons l'usage de ces conteneurs à présent que la presse est de plus en plus soupçonneuse. Voyez-vous, dans l'espace, on ne fait aucunement la différence entre ce pullmann et un simple conteneur chargé de pièces biologiques et de ravitaillement venant de l'unique base scientifique d'Herminas. Comme vous le savez, la possession d'une résidence à des fins purement « touristique » pour les élites du pouvoir confédéral serait plutôt mal vu. Nous avons nos protections. » Aaricia se rappelait alors que toujours elle avait emprunté les transports de liaison réguliers d'Herminas, petits et limités, mais que ceux-ci desservaient de puissantes navettes orbitales. Elle avait bien entendu parler d'un site de lancement lourd en Sibérie, mais elle n'en savait pas plus que son intérêt ne l'avait guidée. A présent, confortablement installés autour des tables, leurs sièges pivotèrent en direction du nez du conteneur, et un champ de force commença à leur oppresser la poitrine, rivant leurs membres au siège, qui en se modifiant faisait progressivement corps avec leur anatomie, ne laissant pas le moindre recoin d'air. Pas de carburant chimique, une telle hérésie ! Un imperceptible bourdonnement fut, en même temps qu'un sensation progressive d'écrasement furent les seules choses qu'elle perçut de ce moyen de transport confortable mais en principe réservé à des chargements peu ménagés, glisser à une vitesse exponentielle au travers d'un tunnel de cinq kilomètres qu'elle savait creusé au cour de la montagne, dans les contreforts Orientaux sibériens. Elle ne percevait que par son imagination la multitude d'anneaux exerçant chacun une formidable pression, leur énergie s'ajoutant écrasant le conteneur qui ne pouvait, de fait, que s'en échapper vers la sortie, celle d'une rampe inclinée, droit vers la voûte céleste. Une technique éprouvée et ancienne, ne nécessitant qu'une petite centrale à antimatière et qui n'avait d'autre inconvénient que de prendre de la place et de sembler si simple par sa conception et si souple d'utilisation. De telles rampes existaient sur la plupart des mondes, capable d'envoyer des charges considérables à une vitesse tout aussi stupéfiante, des « trains de conteneurs », qui s'élançaient sans interruption à raison d'un lancement par minute, sur le principe moins bruyant et plus évolué du.canon.  La mise balistique en orbite ne prit en fait que quatre minutes. Un petit voyant s'alluma. Déjà, le champ de force disparut, relâchant les passagers qui ne se mirent cependant pas à flotter. Afin de mieux pénétrer dans l'air, le conteneur avait reçu une impulsion lors de son lancement qui lui imprimait une rotation permanente. Une pesanteur artificielle permettait donc à ses occupants tout le confort physiologique relatif de la terre. De passagers, Aaricia, Londrenn et ses cinq assesseurs, ses deux conseillères et autres membres du personnel difficiles à cerner reprirent place autour des tables. On servit une collation tandis que les conversations, lentement, s'engagèrent. Aaricia prit la parole au bout d'un petit moment, après quelques tours de tables, pour se présenter et souhaiter la réussite de la délégation. Londrenn, resté silencieux, fit signe à Aaricia de le rejoindre au nez du conteneur. Là, deux petites fenêtres y étaient aménagées, cachées en temps habituel par des plaques de protection thermiques, dévoilant le toujours captivant spectacle du ballet orbital. Le néant, constellé, et immense, tournant rapidement et masquant la vue de l'immensité bleue, ses nappes argentées, ses spirales et corolles de coton, ses chaînes de montagnes, balafres brunes piquées de blanc. Rien d'autre. Toutes les station orbitales existantes dans un passé déjà ancien avaient été démontées pour éviter toute catastrophe lors d'un rentrée dans l'atmosphère de ces immenses masses d'acier et de titanium -Terre Eden, terre sanctuaire, mythifiée depuis des millénaires- Il n'y en avait plus qu'une, port spatial réduit à transvaser les conteneurs, à les accrocher sur des transports, et hébergeant quelques laboratoires d'étude et d'observation. Il n'y avait a son bord qu'une petite vingtaine de permanents, toutes les activités portuaires étant sous le contrôle de vieux organismes cybernétiques et de robots plus sommaires. Le conteneur lui même prenait une route prédéterminée, une trajectoire, guidé par sa lancée, vers la position haute de la station. Celle-ci apparut alors , éclair furtif dans la pénombre tandis que le conteneur poursuivant sa révolution, rencontrait la nuit. Les lucioles jaunes qui masquaient les étoiles noyées dans le halo de clarté de l'astre terrestre déjà renaissant, dévoilaient la masse sombre des structures de la station. Le nez filait droit vers elle, et le jour qui s'apprêtait à caresser de son arc la joue soyeuse de Gaïa commençait à en précisé lors d'instants fugaces, les contours. Une lumière vient à leur rencontre. Le conteneur semblait avoir ralenti sa course. Une bruit de percussion bref se fit entendre. Le conteneur était remorqué par quelque robot de grande taille vers l'un des docks. Un cargo y était amarré. Sa grande masse squelettique, semblable à une cage thoracique interminable offrait ses côtes-râteliers aux conteneurs qu'on y installait. Un bruit vibrillant se fit entendre, de même que l'écho haché d'un obscur code cybernétique issu de très anciennes voix humaines rendues méconnaissables par l'usage. « Ils scannent le contenu du conteneur » souffla doucement Londrenn, très calme. «Vous pensez bien que le nôtre possède une coque holographique en mesure de reproduire un environnement virtuel suffisant pour tromper les machines. On ne saurait que trop prendre les protections suffisantes vis-à-vis de qui vous savez. » Aaricia, intriguée, lui demanda : « Cela fait longtemps que ce dispositif existe ? » «  Je l'ignore. Lorsque je suis rentré au service des services spéciaux de la fédération, il était déjà en place. Je ne savais pas alors, comme bien des gens, que la terre hébergeait autre chose qu'une maigre colonie de quelques milliers de scientifiques. Vous pensez bien, si j'avais su que ce sanctuaire servait de lieu de villégiature à nos hommes politiques, je me serais peut-être engagé du côté des cecéssionnistes ! En réalité, maintenant, j'en suis un peu revenu. Je ne pense pas que la présence de quelques résidences éparpillées dans des lieux si vastes soient une quelconque menace pour l'écosystème. Et il y a des milliards de gens qui possèdent une résidence virtuelle sur terre à tant d'époques que cela m'indiffère un peu. Non, en fait, je suis d'avantage préoccupé par les agissements suspects de bon nombre des élites Tonites, celles de la majorité notamment. Il y a d'ailleurs un début de rumeur concernant le décès surprenant de la plupart des chefs de file des loyalistes. C'est inquiétant, plus que tout le reste je pense. On ne vous en a pas encore informée, je me dois donc de le faire à présent. » A ces mots, tandis que l'humeur d'Aaricia s'aventura de nouveau sur ses landes brumeuses, un claquement sec suivi d'un léger grincement de structure résonna dans l'habitacle. Le conteneur était à présent fixé, et les corps libérés de la pesanteurs se mirent à flotter librement. Percevant le regard vaguement inquiet d' Aaricia, Londrenn ajouta : « Ne craignez rien, le voyage à bord de ce cargo ne saurait durer que peu de temps. Dés que nous serons hors de portée des radars de la station, nous serons livrées de nouveau à l'éther. » En effet, quelques dizaines de minutes plus tard, le cargo libéra ce conteneur qui se mit en quête, délivré de tout moyen de propulsion mais dérivant avec sa vitesse acquise, de l'attraction d'un corps massif. Et ce fut la lune. Mais la mécanique céleste était si lente que bientôt le conteneur se retrouva à flotter dans le vide le plus total, laissant ses occupants à la merci de leur système de recyclage et à la pression de l'habitacle. Aaricia en profita pour s'entretenir avec ses assesseurs puis se tourna, soucieuse d'établir de bons rapports dés le départ, de s'enquérir de son personnel. Il y avait là trois femmes et deux hommes, visiblement issus de certaines maisons fières de proposer ses services en tant que regroupement actif d'anciens fonctionnels reconvertis à la vie civile. Ces dernières avaient l'assentiment et le soutien financier de la fédération terrienne, une nécessité imposée par les suites de la grande révolte des fonctionnels et de la guerre qui avait suivi, mille deux cent années plus tôt. En recourant à des mariages « ciblés », les dirigeants de ces mouvements espéraient retrouver des qualités par croisements des anciens véritables fonctionnels. Si leur apparence physique était proprement humaine, il y avaient quelques signes qui en dévoilaient l'origine. Leur mise simple et informative était de toute façon là pour renforcer cette impression. Aaricia pouvait donc se fier à leurs compétences, ne sachant que trop bien que ces descendants « impurs » dans leur patrimoins génétique avaient de ressources d'autres ordres et un horizon plus vaste qui en faisaient des interlocuteurs intéressants et qui pouvaient accomplir leurs tâches en y apportant des éléments inédits de leur personnalité et des qualités enrichissantes, loin des conceptions simplistes de leurs créateurs. Une légère secousse, qui suivit un son progressif de rapprochement, indiqua que leur conteneur était pris dans un faisceau tracteur. A travers les fenêtres, un lueur faible, qui s'accentuait leur indiquait qu'ils étaient en train d'entrer dans un vaisseau ou une station surgie de nulle part. Pour rassurer l'équipe, Londrenn lança, souriant : « C'est le Stariter, notre moyen de transport jusqu'à Ton. » Voyant l'interrogation de l'équipe, il précisa : « Comme vous le savez peut-être, le Stariter est un vaisseau SupLum, doté de son propre système de génération de champ de saut. C'est celui que vous connaissez peut-être pour l'avoir vu par les médias. C'est un engin mixte, militaro-civil, au rang de Dreadnought, bien que cela ne signifie pas grand chose pour lui. Comme vous pourrez vous en rendre compte à son bord, il est immensément vaste. J'ai eu le plaisir de voyager plus d'une fois dans ses entrailles, et il est encore plus impressionnant à l'intérieur. Moi aussi, enfant, il me faisait rêver.C'est quand même l'un des fleurons de la flotte Terrienne. » Aaricia, incrédule, répondit du tac au tac : « Vous voulez dire de la confédération.Ce vaisseau, je le connais de nom, à été construit à Belromchorre, autour de Mantrasis, ex-Kalam-13. Il doit beaucoup à la technologie et à l'armement des armateurs Tonites. Parler de lui comme d'un bien terrien n'est peut être pas bien venu en ce moment, d'autant plus que ses capacités doivent à mon avis servir d'avantage les futurs colons quelque soient leur provenance que d'estafette pour mes services !. » « Oh, vous savez, je crois que le choix de ce vaisseau est tout à fait délibéré de la part du conseil. C'est un concentré de symboles de la part des Terriens à l'égard des Tonites. Votre arrivée se fera d'ailleurs à son bord. » Aaricia n'aimait pas cela. Jamais on avait utilisé de tels monuments, des vaisseaux construits trois ou quatre siècle plus tôt afin de se déplacer par leur propre moyens plus rapidement que la lumière. Techniquement d'un complexité et d'un coût d'entretien exorbitant, construit par des chantiers en commande spéciale de la confédération, aucune compagnie coloniale privée ne pouvait rêver s'en offrir un jour. Leur simple vue dissuadait quiconque d'un mouvement de sédition car c'était bien la plus claire et brutale démonstration de force que l'on pouvait faire. En fait, pour Aaricia qui se voyait en charge de la diplomatie, une provocation. Leurs maigres bagages emportés, l'équipe emprunta le sas latéral, à présent ouvert sur une immense salle, un entrepôt dans lequel trônait au loin des centaines de petits engins rangés en parade. Devant, plusieurs centaines d'hommes arboraient leurs uniformes au garde-à-vous. Aaricia s'avança la première, descendit la petite passerelle qui desservait le sas et vint saluer de la manière la plus ancienne -par une antique poignée de mains- l'aréopage de hauts gradés et l'équipe de civils venus l'accueillir. L'incontournable musique martiale adaptée à l'événement éclata à leurs oreilles, entonné par une centaine de musiciens tandis que la presse se pressait non loin de là, envoyant leurs robots volants prendre sons et images en trois dimensions pour les actualités. Elle passa en revue les carrés compacts d'uniformes représentant tous les corps techniques civils et militaires du vaisseau, puis arriva vers un petit promontoire équipé pour lui permettre de faire preuve de ses éventuels dons d'oratrice. S'y attendant depuis longtemps, elle pris la parole sans notes, son interface occiputal faisant le reste. Son discourt très conventionnel se termina sur des notes d'espoir et de confiance, paroles qui pensait-elle avaient peu de chance de rassurer le commun des mortels en ce lieu, ne disposant pas de ses données sur l'avenir. Enfin, on la conduisit vers une petite navette, qui elle même parcourut d'innombrables pièces et couloirs, hangars gigantesques et réseaux mixtes, avant de stopper devant l'entrée d'un dôme biotopique, un magnifique jardin exotique dans lequel avait été présenté tous les atours de la plus réussie des garden-party avec d'innombrables clichés réunis du vieux monde. Un lac, sous les saules pleureurs, une pelouse rase, quelques barques le long d'une petite jetée basse et blanche, des caillebotis, des terrasses en briques et de longues tables recouvertes de nappes beiges. Elle afficha, tout le long de cette « soirée » de réception, le visage impassible qu'elle avait développé durant les innombrables cocktails organisés par sa mère dans sa résidence. Bien que le paysage évoque d'avantage la Virginie en été, elle repensa à son écosse natale, et tout en suivant les conversations d'une oreille attentive, commença à glisser lentement dans une torpeur nerveuse.

Chapitre 4 - Réunion de veille d'examen

Que peuvent faire des étudiants de tous temps ? Leur jeunesse signifiant une certaine dose d'effronterie de d'anticonventionnalité, leurs études étant souvent le centre de débats passionnés et d'engagements, et le lieu de ces études celui de flirts, d'intrigues, de joies et d'amusements pas toujours bien conçus ou sincères, parfois aussi obéissant à des codes précis, attendus, il ne restait que plus rarement l 'instinct potache authentique. Gecko faisait partie de ceux qui aiment se lancer des défis. Toute sa courte vie, il ne rêvait que d'en remontrer, de prouver sans arrêt tout ce qu'il pouvait lui passer par la tête. Dans ce théâtre parfois encore imprégné de la petite dose de cruauté sociale des enfants, il voulait, en permanence jouer de sa partition. Les années passaient à Blenham. Gecko se destinait, comme la plupart de ces privilégiés de descendants d'hermas, à des fonctions créatrices en virtuel. Il apprenait à gérer de la manière la plus efficace, ces environnements destinés à lui permettre de supprimer tout interface entre la pensée brute, non encore formulée, et sa concrétisation matérielle. Comme tant d'autres, il faisait partie de l'Elite Tonite, de ceux qui résidaient dans les nouvelles tours biologiques, ou au contraire dans des villes-tours à dômes, d'une complexité interne sans bornes mais qui reproduisait à très longue distance l'allure d'un campanule. On était loin de la « surface » urbaine, l'innommable. En attendant, lui et ses comparses mitonnaient quelque tour pendable à leurs contemporains, un semblant de révolte affiché au sein d'un ordre aussi ancien qu'intangible et qui, comme toujours, entrait dans ce jeu de dupes, à qui se fatiguerait le premier. Et ce fut son tour, du moins le croyait-il. A présent en dernière année, à la veille d'un examen capital mais pas essentiel, son suivi constant ayant parlé pour lui, il semblait ne plus prendre goût à cette folie nihiliste, et bien qu'il ne se soit pas rangé totalement, il lui semblait avoir « pris de l'âge ». Ranimer la flamme de la folie et du jeu était à présent son horizon, il commençait à peine à l'admettre. Et il se souvint brusquement : Il lui fallait un défi suffisamment poussé pour motiver son attention et son énergie avant de sombrer définitivement dans la convention. Il avait réfléchi à cela sans en parler aux autres tandis que les soirées se faisaient plus rares, que les rires se refroidissaient, et que les tours éculés n'amusaient plus personne. Il fallait quelque chose de plus consistant, de plus culotté. Que pouvait-on faire pour épater un groupe revenu de tout ? L'évidence fut longue à venir mais avait fini par s'imposer d'elle même. Oui, il le ressentait profondément, son idée ferait sourire, puis serait jugée avec tout le sérieux qu'on lui devait. Et il commença à se renseigner, à compulser toutes les données qui entraient dans le cadre de son projet. Et tandis qu'il se préparait à sa dernière épreuve pédagogique, il mettait une dernière main à sa dernière quête révélatrice, la seule qui lui parut digne d'intérêt, le reste s'étant dissolu de dépit. Peu de temps avant l'examen, il contacta ses amis les plus proches afin de les convier à une ultime soirée de relâchement peu avant la date fatidique, il comptait bien leur révéler ce projet et se délectait à l'idée de leur réaction. Avec toute l'attention que requérait la mise en place d'un décorum idéal, un plaisir facile pour un herma aussi créatif qu'il pouvait l'être, il conditionna son cerveau à déployer tous les arguments dont il pourrait avoir l'usage afin de ne pas se retrouver seul dans ce qu'il envisageait, et chassa de son esprit ce qui lui paraissait une éventualité somme toute effroyable. Enfin, les premiers convives arrivèrent : Eyraddias, aux allures d'éternelle célibataire esseulée souvent mal à l'aise, que tout le monde soupçonnait d'être descendante d'hermas depuis trop de générations, malgré son patronyme et la simplicité rayonnante de lignes de son visage ; Seldaor et Gunilenn, amants depuis peu en affirmant de concert qu'il s'agissait d'un engagement de long terme, aussi semblables et si peu complémentaires qu'il était possible, mais considérés avec mépris par le noyau dur du groupe pour leur déclinations fréquente de propositions de nouveaux « coups », en particulier une certaine animosité du groupe contre Gunilenn que l'on jugeait trop casanière, et qui avait métamorphosé le Seldaor qu'ils connaissaient si bien autrefois ; Adrias, joueur invétéré au visage féminin et à la voix si grave qu'il cultivait en permanence cette belle ambiguïté pour renforcer un charme des plus troubles, propres aux Hermas purs et durs ; Nanlothim, pur Herma également mais de personnalité plus effacée, intelligent mais qui paraissait malgré tout éternellement derrière Jangarat'h, l'homme-femme le plus caractéristique du groupe, au physique impressionnant mais de toute la finesse légendaire des meilleures familles de Ton, élite de l'élite de la Noblesse locale Herma, imbue de sa personne mais sachant parfaitement maîtriser son image comme sa volonté afin de faire fléchir celles et ceux qui étaient réticents à ses vues. Il y avait aussi Penlat'h, frère-sour cadet de la première mais en quête obsessionnelle de s'imposer à ses yeux, et bien plus méritoire comme tous pensaient ; Ayreddrim, redoutable femme-objet à la plastique aiguisée comme une machine à drainer les hormones, mais calculatrice et sournoise au besoin ; Jempsaï, qui l'accompagnait depuis toujours telle une sour mais la complétait de son authentique grâce aérienne et de ses idées éternellement noires sous des dehors enjoués ; Kablunath, l'un des amis de longue date de Gecko, facile d'abord, toujours honnête d'apparence, mais se régalant le plus de tous d'actions et d'attitudes au second degré ; Janglon, petit, bellâtre et obsédé sexuel notoire éternellement éconduit, souvent aussi méprisé pour son lignage impur, mais dont les traits d'esprit ravivaient toujours l'humeur moqueuse des convives ; Ayettho, étrange étudiante d'origine Herma lointaine mais vite adoptée par le groupe pour ses facultés innées à jouer un double jeu, et régalant le groupe de ses histoires et de ses anecdotes sulfureuses ; Lankimm, Herma idéaliste, souvent rêveur, mais dont les pensées profondes, si elles avaient tendance à alourdir l'atmosphère, se régalait de dialectique au point de se perdre dans la logghorée et ne manquait jamais de provoquer et entretenir des débats sans fin ; enfin Moguaï, autre ami de Gecko, fidèle de longue date et brillant organisateur, papillonnant dans et hors du groupe avec un succès mitigé mais considéré par tous avec la plus grande estime quand à son sérieux réel. Alors que la « soirée » touchait à sa fin, le temps ne comptant plus durant les quatre jours de répit qu'ils s'étaient imposés, Gecko laissa un silence opportun s'installer, ayant au préalable fait baisser le niveau sonore de l'ambiance artificielle, jusqu'au mutisme total, se levant avec sûreté pour fêter le moment, et entamant un discourt ironique en ménageant ses effets : « Maintenant, je vous prierait d'observer. une minute de silence pour tous ces braves gens, hommes et femmes, toujours plus nombreux venant des quartiers de Brède* ou de Solltom, ( ricanements ), je leur dédie mon futur travail et leur souhaite bien du courage. Qui sait, le futur recteur de l'académie sera sans nulle doute aucune un Fochachi* ( les rires fusèrent sans qu'il s'interrompe ) dans quelques cent.mille années, si les Loyalistes, ces très chers frères, se retrouvent au devant de la scène. Alors, prions pour eux mes amis, souhaitons leur la réussite. » Si la majorité du groupe était fortement imprégnée des idées sécessionnistes, cela était dû moins au conformisme politique ambiant qu'à une authentique conviction politique, quoique détachée de toutes les implications qu'engendraient un tel engagement vis- à vis de la terre. Personne ne pensait à une confrontation directe avec la confédération. On envisageait plutôt des mesures de rétorsion commerciales et des actions du même ordre en retour. Mais l'humeur était plutôt à se gausser du mouvement social qui, porté par les idées des loyalistes, avaient depuis longtemps fait leur chemin dans les couches urbaines inférieures. Un espoir de promotion sociale qui se heurtait à un puissant privilège de caste, celle des hermas et de leurs descendants « sang mêlés »* de fraîche date. Mais ce soir-là, Gecko ne voulait pas que Lankimm propose une joute oratoire sur le thème éternel de la loyauté envers la Terre. Afin de couper court au flottement qui suivit la bonne humeur qu'il avait ravivée, il changea de ton, sachant que ses invités prendraient tout ce qu'il allait dire, comme de coutume, pour son contraire. « Dans huit petits jours. Il se passe ce que vous savez. Et je voudrais juste vous dire qu'avant que l'on se sépare, on aura bien mérité un défouloir à la mesure de l'évènement, un sommet indépassable en matière de fête monstre. Vous le savez, on en a déjà discuté bien des fois avant ce soir, je sais que la plupart d'entre vous sont d'accord avec l'idée de Jangarat'h, ce serait donc Telliun, pendant un mois, et encore un an pour s'en remettre !. Pourtant, j'avais pensé à quelque chose d'autre, de moins facile au départ mais de plus.intéressant à faire. En tout cas ce sera à la hauteur du reste, et bien d'avantage. » Il attendit que les sourires affichés se crispent de perplexité. « Je vous propose. de descendre. » Tout le monde se tut à ce moment, et Gecko profita de ce nouveau silence qui était comme un orgasme intellectuel. Adrias coupa ce silence, d'un ton mi-amusé mi-expectatif : « Tu veut dire jusqu'à quel niveau ?. » « Je veut dire jusqu'au niveau. ( détachant bien ses syllabes ) le plus bas. » Une vague de soulagement face à cette nouvelle démonstration supposée de second degré glissa sur l'audience. Elle se figea lorsque Gecko repris, le sourire aux lèvres mais d'une voix plus sûre que jamais : « Une descente au fond des profondeurs, je veux dire au delà du cinquième niveau. » Ayettö que cela n'amusait plus, l'apostropha : « Mais bien sûr. Et qu'est ce qu'on fait en bas, on ramène des souvenirs ?.C'est très amusant Gecko, tu peut continuer longtemps à délirer tout seul. » « Mais non, imaginez. On a jamais créé d'univers réaliste ou crédible des profondeurs Tonites. Il y a bien eu Lajouansell en 9863, mais ça tenait plus du reportage in vivo que de l'attraction, et c'était trop limité pour faire peur. » Tous commençaient à penser qu'il s'agissait bel et bien de la boutade la plus sérieuse du monde. Lankimm, s'en inquiéta également : « Attends, tu ne parle pas sérieusement de descendre ne serait-ce qu'au quatrième niveau, tu sais ce qui t'attends. On pourrait à peine se défendre comme dans le temps, c'était si facile. » Kablunath, encore sceptique, surenchérit : « Il fait référence aux « descentes » d'Hommes « sang-mêlés » dans ces niveaux ou se rassemblaient des populations Exfun' clochardisées qui pouvaient faire l'objet d'une « éradication » édictée en sous-main par des organismes douteux, soucieux de leur rentabilité financière, au début des années .8900 à peu prés. » « Oh Oui, les attractions de ces groupes constituaient à proposer au public averti les sensations fortes de massacres, destructions et viols de communautés isolées Exfun des bas-fonds. Le vrai frisson du réel garanti. Et l'éradication de ces populations par la même occasion. Mais si c'est vrai c'était il y a plus d'un siècle, alors. » A ces mots, Seldor rugit, suivi de Gunilenn : « Mais c'est insensé ! comment des choses pareilles auraient pu échapper à la presse, même à l'époque, c'est monstrueux. » (Gecko reprit, impassible) : « Et oui, qui aurait pu soupçonner la coalition au pouvoir de permettre de telles choses d'arriver. En fait, je me suis penché sur la question en parallèle à mes dernières études, et cela m'a tellement passionné que j'en ai délaissé quelque peu mes cours.Donc, à cette époque, en 8891 exactement, il y avait selon le recensement d'alors environ deux cent dix-huit milliards de Funchals pourvus de l'égalité juridique et « libérés » de tout travail depuis les mutation économiques résultants de la grande révolte et de la guerre. Deux cent mille chômeurs en puissance. Or, leur droits acquis, leur pouvoir économique étaient des plus réduits puisqu'ils étaient supposés n'avoir aucun patrimoine. » « Et les fonds d'aides fédéraux ?. » « .Les fonds étaient effectivement encaissés mais officiellement « gelés » pour risque d'inflation entre autres joyeusetés. En réalité, le gouvernement Tonite d'alors en avait grandement besoin pour acheter les nouvelles turbines à plasma construites par Rigel-6 à l'époque. Une nécessité du principal conglomérat industriel, TGI, et de sa branche des transports commerciaux, qui devait avoir acheté une bonne partie des présidents de commission à sa cause : Dépasser les performances des cargos moyen-courrier des industries Martiennes et Plutoniennes. Une anecdote au grandes conséquences, puisque vous le savez, la presse à fini par se désintéresser du sort de ces aides, de même que de celui de ces milliards de Funchals clochardisés. Ils se sont réorganisés depuis en communautés autonomes dans les plus anciens quartiers encore salubres, puis devant les promoteurs, ils ont fui plus bas encore, jusqu'au quatrième niveau. Là, la plupart ont constitué de véritables villes vivant de tout ce qui pouvait arriver de la surface. Beaucoup se sont retrouvés en surface dans des postes subalternes et de générations en génération, en sont arrivés à occuper la place qui est la leur dans cette société. Mais au temps les plus durs de cette installation en profondeur, on dit que certains auraient même installé des communauté jusqu'au sixième niveau, voire plus bas encore !. Or, en 8915, le gouvernement change de majorité, qui devient plus proche des mouvements Cécéssionistes à l'époque encore minoritaires au parlement. Et il est décidé en 8916 de fermer tous les niveaux inférieurs, et de les verrouiller pour raisons de sécurité, en bloquant toutes les issues aux niveaux 5 et 6. « La grande barrière des profondeurs » de vos cours d'histoire. Puis, lentement, tous les dix ans, on s'enquérait de savoir l'importance de la population d' Exfuns au niveau 4 et 5. Alors que les ethnologues notaient une nativité importante, environ six à huit enfants par famille, la population restait stable ! Cela s'expliqua bien sûr par la présence de milliards d'Exfuns dans les niveaux de surface exerçant de petits métiers, mais cette population avait ses limites. Alors,. » « Alors tu penses que ces « éradications » abominables en étaient la cause ? C'est incroyable. » « Oui, c'est probable. Ce dont je suis sûr, c'est que les chercheurs qui ont avancé les premiers cette explication, alors même que ces événements se produisaient, n'ont pas étés écoutés, ni par le gouvernement (.) ni par leurs confrères qui jugeait leur théorie invraisemblable. On demanda des preuves. Une dizaines de ces chercheurs ethnologues et sociologues, des journalistes descendirent dans les profondeurs. Ils y furent reçus par les services de police, et leur visite se déroula selon un plan bien établi et sans surprise. En fait, dès que quelqu'un désirait descendre dans les bas quartiers, il devait demander une autorisation « pour sa propre sécurité ».. On parlait de « zones de non droit » au sujet de ces secteurs, et les autorités garantissaient une animosité ambiante vis à vis de tous les non-Exfun, et même vis à vis de ceux qui venaient des « hauteurs », y compris des Exfun résidants plus haut que le troisième niveau.Ces constats ont étés faits plus tard par ces mêmes chercheurs un peu plus libres. Cela n'à pas empêché certains d'être parfois bien reçus et d'être témoins après-coup de l'une des ces « éradications ». Officiellement, il s'agissait toujours de règlements de compte entre factions rivales locales. la politique des primitifs. » Plus personne ne parlait, ne chuchotait, tous étaient extrêmement dubitatifs, mêlés de sentiments contradictoires, parmi lesquels un mélange de répulsion-fascination que l'idée de Gecko leur infligeait. C'était une solution originale de se défouler, il n'y avait pas de doute en effet, et un gouffre insondable entre cette destination et celle des fêtes monstres qu'ils connaissaient si bien ; la chaleur rassurante d'une certaine routine conjuguée au dépaysement d'un endroit mythique comme Telliun, dont la nature des ambiances était très célèbre pour tous les étudiants Hermas. Apprendre n'était-elle pas dans la droite ligne de ce qu'ils avaient fait ? Aussitôt de songer aux efforts qu'ils avaient dû déployer dans leur quête leur revenait sèchement au visage et tous pensaient en profiter à présent. Certains se demandaient même s'ils ne devaient pas laisser tomber même les fêtes monstres où l'ambiance devenait plus artificielle que jamais, la plupart se forçant à faire les pitres et à prendre du plaisir en suivant le groupe, en veillant à ne jamais faire fléchir la tyrannique ambiance. Peu à peu, tandis que Gecko repris, la solution commença à s'imposer. Même Jangarat'h était coit, Gecko ne sachant pas encore tout à fait s'il avait digéré son offre et préparait comme à son habitude une contre-attaque des plus cinglantes, ou s'il était réellement séduit par son idée , ce qui le flattait. Confiant, il reprit, préparant le dernier round avec autant de célérité qu'il subodorait la tempête qui surviendrait lorsque tous seraient revenus de ses arguments. « Vous vous en souvenez certainement, les missions archéologiques et ethnologiques en-dessous du cinquième niveau sont toujours d'actualité, bien que depuis Stroll on ait pas eu officiellement de nouvelle expédition. En fait, comme vous le savez, les accès sont verrouillés avec des sas blindés et des patrouilles régulières s'assurent qu'ils ne sont pas violés. Mais j'ai entendu dire, et j'ai pu voir que les marchés locaux du quatrième niveau regorgent de bimbreloques pour touristes, mais de celles qui n'ont pas été redistribuées par un des groupes commerciaux des Exfuns des hauts niveaux. En fait, tout laisse à penser qu'elle ont été recueillies pour la plupart sous la le cinquième niveau et non des entrepôts de sombres astroports mal fréquentés, dont ceux de Gamcorinthe. Si vous pensiez que certaines des choses qui peuvent se trouver sur ces marchés proviennent de sources douteuses des contrebandiers ou de braconniers illégaux des planètes pauvres, c'est, je pense , ce que l'on à voulu faire croire à tout le monde. En fait, il y a réellement quelque chose là-dessous. Il y a onze ans, j'avais dévoré avec avidité les récits de Fedroyan, celui qui était descendu au dernier niveau en 9855 ; Il avait perdu quatre membres de son équipe : Deux avaient étés tués en cours de l'expédition, des accidents dans des galeries suite à des noyades et des éboulements, et les trois autres perdus. Il ne les revis jamais. L'époque, cela m 'avait intrigué, d'autant que l'on parlait déjà à l'époque de très vieux dômes du troisième niveau remis en fonction et entièrement rénovés pour en faire des zones de résidence privative tranquille pour des Hermas et des hommes privilégiés. Il y a actuellement plus de dix-sept dômes des profondeurs en activité. La plupart ont nécessité des travaux énormes, et d'après ce que j'en sais, ils sont complètement coupés du reste. Il y a une sorte de double frontière bétonnée et verrouillée autour de ces dômes et la police y patrouille régulièrement. Pour les protéger de l'environnement évidemment. Et puis si vous avez essayé de vous renseigner sur les expéditions les plus récentes, elles ne sont plus disponibles : Elles ont été effacées des banques de données. J'ai bien tenté de court-circuiter les réseaux habituels, mais même celle de Mandrin, qui redécouvrit le site de la première base de Ton, en 7310, à été escamotée de toutes les mémoires que j'ai pu contacter. Je n'avais pas le temps d'approfondir mon enquête, mais cela pourrait même intéresser les médias. Après tout, cela fait partie de notre histoire, comment fait-on pour enseigner celle-ci de nos jours ?. Tu dois le savoir, Adrias ? » Ce dernier sortit de sa torpeur : « En effet, c'est singulier, on a travaillé sur l'histoire Tonite avec un cours hebdomadaire de deux heures qui permettait de recouper nos informations, mais en fait, sur les expéditions même, je n'ai pas lu grand chose. Ce que j'en sais, c'est que cela s'est passé comme se passent toutes les expéditions, il y a toujours un ou deux accidents. Mais c'est un sujet qui n'a jamais été pris, en tout cas pas à ma connaissance, comme sujet de thèse. On passait son temps à travailler sur celles des nombreuses planètes du système Kusaien et Kalammite, mais .Maintenant que j'y pense c'est surprenant en fait. Il faudrait contacter Loki ( une de leurs amies, en étude de journalisme ), je m'en occupe demain. » Gecko reprit, déjà soulagé par l'attitude de son auditoire : « J'ai commencé à me renseigner donc sur les marchés Exfun du quatrième niveau, parce que je n'avais en fait pas de possibilité de faire autrement. Je ne vous l'ai pas dit encore, mais j'ai trouvé le moyen de descendre rapidement dans le « grooniro », le site de la première base, il y à deux jours, vous voyez, c'est tout frais, et j'ai pu regarder attentivement les passages, les coursives, les portes et les sas autour de la zone. Il y en a, mais il y a trop de postes de surveillance pour tenter ne serait-ce que de les approcher. Alors que dans les marchés en revanche. » Jangarat'h surgit à son tour de son mutisme, intéressé mais impatient, et se forçant à ne pas l'admettre : « Attends, tu nous demande à nous, des étudiants, la crème de la crème, certes, de prouver ce que des scientifiques et même des sportifs chevronnés ont tenté de faire il y à des siècles déjà ? Mais comment se procurer le matériel, les fonds, il faudrait peut-être -et même sûrement- des sponsors, ne serait-ce que ça, tout ceci ne peut s'envisager sans préparation, et il y en aurait pour un an au moins. d'ici là je pense, je serais en poste quelque part et je n'aurait plus le loisir de m'occuper de ce type de sport, ni moi ni personne ici d'ailleurs. Par contre, ce qui me plaît dans ton idée, c'est de passer les barrages et les patrouilles, cela me motive diablement. mais, comment ?. » « Pour ça, je ne me fais pas trop de soucis : Comme je vous l'ai dit, les marchés m'intéressent car ce qu'ils vendent aux rares touristes de passage, viennent des niveaux inférieurs, ça ne fait pour moi aucun doute. Donc, on peut passer. Reste à savoir où et comment le savoir. On ne le saura que sur place. » ( Ayredrimm persifla :) « Mais tu oublies les autochtones, je pense, après ce qu'ils ont subi, et ce qu'ils subissent peut-être encore, ne seront peut être pas très bien disposés à notre endroit.Pour ce qui est de vendre des bibelots à des touristes, c'est une chose, mais révéler leur source comme cela, en est une autre, sans compter qu'ils doivent protéger leur gagne-pain !. » « Il ne faut pas oublier que les déprédations dont ils ont été les objets sont du fait des hommes, non d'hermas. Les Hermas tuent et blessent par les mots et ne le font que si toute autre solution a été compromise. Même pour des semi-Hermas comme la plupart d'entre nous ( Un sourire mi-amusé, mi-méprisant aux lèvres, quelques regards s'échangèrent ), ces actes ne sont pas envisageables. Cependant, la vieille haine qu'entretenaient les Funchals à notre égard n'a peut-être pas diminué. Maintenant, nous sommes si rares à nous rendre dans les profondeurs qu'ils nous reconnaîtront sans peine, nous aurions du mal à nous faire passer pour d'autres genre de visiteurs. Je sais que ce ne sera pas une partie de plaisir, mais je compte trouver un contact sur place qui puisse nous guider. » Gecko échangea alors un regard vers moguaï, qui le regardait depuis un moment avec plus d'insistance. «  Il me restait à vous dire que Moguaï est dans la confidence depuis une semaine et qu'il a très bien tenu son rôle jusqu'ici. C'est lui notamment qui s'est chargé de tous les aspects pratiques de cette « expédition ». Pour le reste, je pense qu'il sera d'accord pour confirmer que ce que vous pouviez dépenser lors de votre semaine à Tiellun, vous le dépenserez, sans un seul Toku* supplémentaire, pour tous l'équipement dont nous aurons besoin, sachant que chacun embarquerait son matériel propre. J'embarquerais quant à moi une tricome* pour garder le plus possible de traces de notre équipée, sachant qu'elle vaudra plusieurs fois notre équipement à son retour, je n'ose imaginer l'accueil que les grands médias de la couronne centrale lui feraient. En définitive, et bien que personne ne sache exactement quoi trouver à cette profondeur, le choix n'appartient qu'à vous. » Le regard de Moguaï, qui n'avait cessé d'acquiescer jusque là, se porta sur l'assistance, et il sembla bien à cet instant de silence la paire soit en mesure de l'emporter. Finalement, Kablunath déclara, l'air outré : «  Vraiment ça me navre que tu ait pu inventer une telle histoire ; tu voulais j'imagine nous emmener effectivement dans les bas quartiers, mais qui sait qui nous aurait détroussé ou pris en otage en arrivant, je suis bien entendu partisan de la fête que l'on avait, et de longue date, programmée sur nos calepins. J'avais réservé la suite Oliems, pour vous, à côté des cracheurs de couleur Nectaris, et préparé un carnaval Vénusien spécialement pour le premier soir, on ne va pas rater ça tout de même !. En fait, si vous suivez ces deux ahuris vous vous ferez plumer sur toute la ligne, et je sais de quoi je parle. » A ces derniers mots, le visage de Gecko et de Moguaï s'éclaira. Ils savaient qu'il était des leurs. L'attitude légèrement forcée qu'il adopta en concluant en disait aussi long pour tous les autres. Ils étaient trois à présent. Jangarat'h, qui s'était gardé de tout commentaire, mais toujours retenu d'accepter trop ouvertement devant le groupe, réagit froidement : « C'est une idée qui me plaît, mais je ne vois pas comment nous pourrions décider de nous arrêter une fois descendu. enfin, .c'est délirant. Si nous parvenions je ne sais par quel miracle à descendre au delà du cinquième niveau à supposer que nous passions l'obstacle des patrouilles, ce qui ne me fais pas peur, il faudrait savoir où aller pour nous retrouver dans ce dédale, et réussir à dénicher les accès des niveaux inférieurs, ce qui suppose une carte de quartiers disparus. personne ne sait à quoi ressemblent ces vieilles dentelles de béton, de carbone. Y à t'il encore de la lumière, ça m 'étonnerai ; où y a t'il encore de l'air respirable, ou même de simples lieux ou se poser. L'humidité et la chaleur doivent êtres écrasantes, sans parler de l'absence totale supposée de relais, et dieu sait quoi encore. » Moguaï, qui n'avait guère eu l'occasion de se chauffer la voix, sentit son heure venir : « Je te signale, ma chère ( il employait volontairement la forme féminine lorsqu'il voulait provoquer en lui un sursaut de virilité, petite provocation pour lui signifier que sa part instinctivement autoprotectrice maternelle prenait le pas sur ses envies d'aventure qu'il percevait sous-jacentes ) Janganat'h, que pour ce qui est de la chaleur et de l'humidité, à Tiellun tu aurais été servi plus que de raison. Quant aux cartes, elles existent puisque j'ai rencontré un fournisseur de cartes rares du sixième niveau. Il m'à certifié que des cartes avaient bien étés dressées par les expéditions les plus récentes, mais elle faisaient automatiquement partie des archives gouvernementales, et servent au sein du service de sécurité. Mais comme les banques de données ont été régulièrement visitées par quelques amis sorciers des réseaux, mes doigts de fée ont fait le reste et je possède maintenant prés de soixante cartes sur mon holonet*, qui seront largement suffisantes pour trouver les points d'accès aux niveaux inférieurs. » «  Alors.nous n'aurons besoin que du strict minimum, pour une dizaine de jours, disons, cinq pour descendre et cinq pour remonter, à raison d'un niveau par jour à partir du quatrième, c'est tout à fait jouable. » Fit Gecko, passant la dernière couche. Janganat'h, Gunilenn et Ayredrimm s'enquirent alors des préparatifs, que Moguaï se fit un plaisir de leur décrire, savourant tout le savoir-faire de leur duo. « J'ai d'hors et déjà mis en pré-commande quinze équipements pour cinq mille Tokus, en fait un peu moins cher que prévu. Il y a des packs de survie avec masques respiratoires, seconde peau en mylar et fibres de carbones, des cordages, des charges explosives, des détecteurs, des casques de vison nocturne, des vivres en doses lyophilisées, et aussi quelques bonnes bouteilles pour fêter le moment où nous toucherons notre sol natal. Avec le Tricome, je pense prendre toute notre équipée tous les jours. Je rêve déjà du moment ou nous remonterons avec tout ceci, pour filer directement chez Toncom, le succès assuré et la une sur toutes les chaînes principales.Alors là ce sera une fête monstre, et je crois qu'il serait désormais superflu de penser même à des études avec la célébrité qui nous attends. » D'autres précisons furent données, Gecko rivalisant d'adresse avec Moguaï, afin d'emporter la décision finale de tout le groupe. Enflammé par son succès supposé, il voulait une réponse unanime et définitive le soir même. Janganat'h, contre toute attente, se prononça favorablement, se proposant de définir des objectifs supplémentaires, et prit à part Moguaï. Gecko, qui pensait trouver des concepts à faire adopter à Janganat'h afin qu'elle vit alors avec satisfaction que l'idée venait d'elle-même, constata avec un soulagement modéré, attendu, que Nanlothim acceptait également, demandant des garanties sur la durée exacte de leur virée. Eyraddias, craintive comme à son habitude, se replia d'abord sous de faux prétextes, mais très vite, voyant les autres se décider favorablement, commença à se demander si cela ne changerait pas de son ordinaire, elle qui avait toujours décliné les soirées monstres dont l'esprit lui déplaisait, trouvait quelque chose de nouveau et d'indéfinissable se tracer, une porte dérobée au fond d'un long tunnel, qu'elle avait toujours croisé sans jamais l'ouvrir, et cette perspective la glaçait d'effroi en même temps que de fascination. Ayettho, qui se donnait une image indépendante et volontaire, imaginant un voyage inédit car si peu usité et une masse de souvenirs qu'elle pourrait toujours dispenser dans une carrière médiatique, bascula également et le fit savoir. Kabluntath, qui s'associait volontiers souvent avec le trio, exprima sa franche acceptation d'un regard. Adrias, lui aussi conquis par l'idée qu'il pourrait se mettre en vedette face au tricome, le rejoignit ensuite d'un phrase laconique. Eyraddias, elle, était dans un état quasi-hypnotique, perdue dans ses lubies, imaginant avec un dégoût qui ne l'en excitait que plus, d'éventuelles étreintes dans les bouges poisseux de moiteur des quartiers Exfuns perdus au fond des plus bas niveaux. Janglon, qui ne faisait qu'observer cette dernière avec autant de clairvoyance que de concupiscence, accepta sitôt après. Ils étaient à présent dix. Lorsque Janganat'h apostropha Penlat'h, pensant que les liens de filiation fonctionneraient comme à l'accoutumée de leurs équipées fraternelles, cette dernière était fortement opposé au projet, et tenta d'en dissuader sa sour-frère. Elle avait au fond de son ventre l'intime sentiment d'un gouffre insondable, un aperçu d'une boîte de pandore que tout ce qu'elle avait pu entendre rendaient plus présent encore. Un besoin impérieux des cellules de son être de résister, résister à l'envie de prouver à sa sour-frère qu'elle pouvait aller plus loin encore que ses pires craintes. Elle ne pouvait d'ailleurs envisager de confier au sort et à l'attente, la sienne, restant en surface, tandis qu'eux-mêmes en sortiraient peut-être auréolés d'une gloire que Janganat'h ne se priverait pas de faire peser de tout son poids sur sa sour. Mais l'autre partie d'elle même, plus sourde, lui criaient de refuser d'y prendre part. Mettant sur le compte d'une peur qu'elle ne pouvait gérer, et à défaut de la convaincre, elle finit par accepter en affichant le plus clair air de défi. Eyraddias acceptant en se tordant presque d'extase aux idées qui l'accablaient, Jempsaï ne pouvait, ne devait que la suivre. Tous avaient grand besoin de son caractère battant et optimiste en apparence, une réalité qu'ils ignoraient, tous Hermas qu'ils furent. La quasi totalité du groupe, en dehors de Gunilenn et Seldaor, mais dont le refus était une évidence dés le départ, s'était prononcé de vive voix pour ce billet vers un au-delà teinté « d'exotisme » selon leur définition toute empreinte d'un racisme social indéfectible. Jempsaï fit alors son sourire des plus désespérés devant les regards pleins de promesses de sa chère Eyraddias et répondit également par l 'affirmative. L'affaire semblait entendue mais quelques regards se tournèrent vers Seldaor, qui, au nom du groupe qu'ils formaient autrefois, sembla sur le point de les rejoindre, mais devant la poigne de faire de sa fiancée inflexible, il esquissa à son tour un sourire triste. Ils seraient donc 13.

CHAPITRE 6 - Première enquête

Ole ferme l'oil. Il souriait tout en se pressant vers le centre des archivistes, un gigantesque bâtiment s'étalant sur plusieurs niveaux souterrains ou étaient stockées les plus anciennes sources d'informations de la confédération humaine sur Ton, des duplicata de toutes les archives connues de mémoire humaine, délivrées par le puisant interface construit à la surface, lequel desservait les centaines de milliards de coiffes synaptiques, offrant leur savoir immédiat à toute personne le pressentant. Ole ferme l'oil. Un conte merveilleux pour enfants des frères Grimm, une créature bienveillante et crainte à la fois, Morphée sous les traits d'un petit vieillard sagace et facétieux. Et c'est ce pseudonyme qu'il avait choisi pour ses premières apparitions en vircon. Car il était d'un ennui fatal à toutes ses conquêtes féminines du monde réel. Aussi avait-il plongé avec délices dans les artificielles victoires du virtuel. Son métier était de ceux qui correspondait le mieux à cette période qui suivait des années d'incertitude et d'immersion virtuelle frénétique. Il était prêt, depuis si longtemps déjà qu'il ne s'en souvenait guère, à sacrifier son corps physique afin de plonger définitivement dans cet univers parallèle. Aussi avait-il entendu parler des Doges, les derniers à sauvegarder des unités de transfert létales et à en faire le don à ceux qui entraient dans leur communauté et en acceptait la totalité sans espoir de retour. Mais cette pensée ne se matérialisait que sous la forme d'un horizon de cimes lointaines, perdues dans la brume. Il avait une enquête à mener, et commençait par le réseau virtuel public des castes et des élites. Son module traversa un bref instant une trouée dans l'immensité des tunnels et couloirs, et il vit la tour immense dans la nuit, un cône aplati telle une mesa de cristal faisant rayonner ses racines tout autour d'elles sur des kilomètres, comme un arbre coupé, l'arbre de la connaissance, et la pomme qu'elle hébergeait inondait les esprits de la somme de ce qui était connu tout en retirant l'espoir aux hommes. Le module se glissa dans un nouveau tunnel, entre deux bras cyclopéens de la tour. Amarré, il s'en extraiya et se dirigea vers le service des connections.