Considérations sur la
nature du pouvoir
Par Siva Montimrith Jubai, apôtre de l’ordre
des Yavahnoggs1 ; Settho-2. ( 9562 de l’ancienne ère
) :
-"Que l’on
rappelle la pertinence du pouvoir des plus ancienne civilisations terriennes
pour apprécier ce fait : La manifestation du pouvoir personnifié
est porteuse de la fierté de tout un peuple. Qu’on le veuille
ou non, lorsque la technocratie s’imposa sur Terre au vingtième
siècle de l’ancienne ère, ce pouvoir perdit immédiatement
de son attrait. Le sentiment d’un peuple en cours d’assimilation
à une unité plus vaste, transnationale, d’incompréhension
se muait en rejet de ses élites alors même que son mode de
désignation ne se faisait que par mérite, ce qui pouvait faire
songer que la démocratie souffrait finalement d’être
réaffirmée par des voies plus rationnelles. La froideur des
données contre le charisme d’un homme, d’un guide. Eternelle
histoire des amours et désamours du peuple avec un être de
chair et de sang, lequel d’adulé se muait vite en despote.
Le peuple le rejetant, la respiration démocratique avait lieu par
le cycle d’éclosion d’un nouvel espoir.
Le pouvoir,
ne pouvait être accepté que s’il était incarné.
Car la raison elle, avait pour la nature du pouvoir défini d’autres
priorités, notamment celles résultant de l’application
des progrès technologiques à la définition même
de la politique : L’organisation de la cité. Eternel problème
du traitement des information et des décisions prises selon une idéologie
politique, ou selon des critères scientifiques visant l’économie,
l’un et l’autre dialoguant, jusqu’à ce que la pratique
et la mise en commun des informations, mais aussi la naissance d’élites
formées sur un modèle de gestionnaire, n’aboutisse précisément
à un modèle uniforme de politis
que sa couleur partisane ostentatoire ne cachait que trop mal. D’ou
ce désintérêt manifesté par les peuples des pays
dits industrialisés au régime démocratique, manifesté
en ce début de troisième millénaire. L’abstention
sapait les fondements même de la démocratie en ne détachant
plus de majorité acceptée.
Mais comment concilier raison technocratique indispensable
et passion des idées ? Certes, on cria à la disparition
des " ismes ", des idéologies en cette fin de vingtième
siècle. Mais comment réaliser l’unité de la passion
et de la raison ? Si le mérite de certains pour être des
gestionnaires semblait les destiner à la détention provisoire
du pouvoir, comment cela ne pouvait-il pas être le meilleur ( ou tout
au moins le moins pire des systèmes ? ).
-Ce phénomène d’éloignement
du pouvoir avec la dilution des grandes entités Nationales au sein
d’un ensemble plus vaste lui-même imbriqué dans un ensemble
politique planétaire ne pouvait qu’effectivement éloigner
les hommes de leur relation avec l’exercice du pouvoir, le rendant
de plus en plus élitaire et attirer la sympathie de démagogues
sortis du ruisseau, ne faisant que proposer une alternative idéologique
fortement marquée mais déraisonnable sur le plan de la gestion.
Lorsqu’au cours du vingt et unième
siècle, les technologie du traitement instantané et de la
mise en commun des données permirent de disposer du meilleur outil
de prise de décision possible, plus que jamais, le seul système
compatible avec le système économique incontesté sinon
minoritairement car expérimenté de longue date, fit encore
plus pour uniformiser la couleur des décisions politiques. Un pas
ultime fut franchi lorsque les supercalculateurs arrivés à
la maturité de leur développement permirent d’envisager
des faire des " prévisions " d’une rare complexité
basée sur des principes à tiroirs intégrant eux-même
des milliards de variables. Une telle partie d’échec ne pouvait
prendre corps qu’avec les données les plus fiables, y compris
sur les individus, ce qui ne fit qu’aggraver le sentiment de surveillance
et de perte des libertés individuelles. L’optimisation de la
société conduisait vers ce que l’excellent écrivain
Aldous Huxley qualifiait de " meilleur des mondes ". Un monde
parfait, mais dans lequel l’homme poétique n’avait plus
sa place. Restait l’homme-machine, symbole merveilleusement incarné
dans le phénoménal "métropolis" de Fritz Lang, ancêtre
des films de science-fiction avec le "de la terre à la lune", plus
prosaïque de Méliès.
Mais comment alors le qualifier encore d’homme, et en faire le rapprochement
avec ses aïeux ?. Restait
donc plus que jamais en leur cœur le sentiment de révolte contre
la "perfection" du système, pureté engendrant la pire forme
de "fascisme". Pour rester humain, et donc accepté, celui-ci devait
être nécessairement imparfait, correspondre donc à la
nature fondamentale de l’homme tant que l’Eugénisme n’avait
pas encore opéré son tri redoutable. Les solutions alternatives
existaient. Certains ont avancé au début du XXIème
siècle la "cyberdémocratie2". Celle-ci consistait
à donner le pouvoir, non à des super-gestionnaires interchangeables
selon les dossiers au sommet de la hiérarchie, mais à des
professionnels de leur domaine, qui avaient à statuer sur une décision.
Il pouvait y avoir alors un "collège" de professionnels en exercice,
qui pouvaient proposer leur point de vue sur une décision à
prendre, publié sur l’espace virtuel et entériné
par les citoyens qui pouvait le faire après une période d'information
accessible à tous.
Mais ce système, qui excluait du coup toute la
"classe politique" tant décriée, en supprimant également
assemblée et gouvernement, les anciens repères démocratiques
personnifiés, présentait deux gros inconvénients :
La fin de la prééminence de l’intérêt général,
pour des raison évidentes d’absence d’autorité
ayant à trancher sur l’ensemble du budget, et le règne
de l’influence des corporatismes, qui autrefois présentes en
coulisses, agissaient cette fois au grand jour, influençant naturellement
en leur faveur l’opinion des citoyens internautes. Comment alors gérer
par ce système l’ensemble de la communauté, comment
trancher en faveur des uns et contre les autres ?
-Eternel problème que remettait en question l’existence
même des pratiques économiques ancestrales. D’autres
songèrent qu’il était préférable d’envoyer
encore plus haut l’exercice du pouvoir selon le précepte que
le pouvoir pratiqué par les nations n’était pas en faveur
d’un intérêt général qui s’avérait
être à présent planétaire, notamment en particulier
sur les questions d’environnement devenues impérieuses. Il
est bien évident, en regardant ce fait avec quelques millénaires
de recul, que rien d’autre ne fit plus pour unifier politiquement
la planète que les dégradations rapides et dramatiques du
climat. L’intérêt
général n’était en effet plus dicté par
des questions économiques mais plus brutalement de survie pure et
simple à moyen terme. La question de la forme de l’organisation
politique se trouvait alors remise au second plan.
-Une évidence s’imposait comme toujours
lorsqu’il y avait situation d’urgence : On redonnait les
mains libres à un exécutif nanti de véritables moyens
d’action. L’ONU3 se trouva donc investie de pouvoirs
uniquement par la volonté des plus grands, afin de résoudre
le problème impérieux résultant de la dégradation
des conditions de vie de milliards d’êtres humains : Inondation
terribles, montées des eaux, réchauffement global de dix degrés,
fonte massive des glaces, tempêtes, dérèglement des
températures saisonnières, Dérèglement du Gulf
Sream et nouvel âge glaciaire pour l'Europe et l'Amérique du
Nord, aggravation de la sécheresse, avancée des déserts,
disparition rapide de vieux écosystèmes fragiles ( d’abord
les coraux, ensuite le plancton, puis de nombreuses espèces végétales,
victimes de la déforestation et de l’appauvrissement des sols,
et répartition inégale et disproportionnée de l’eau.
Mais ce qui préoccupait les scientifiques par dessus tout étaient
les premiers signes avant-coureurs d’un dégagement du méthane
jusqu'ici fermement maintenu dans le fond des mers, du fait de l'ancienne
froideur des courants marins à cette profondeur, ce qui ne pouvait
que concourir puissamment à aggraver le phénomène
de réchauffement climatique.
Cette période historique, qui fut menée en même temps
que la terraformation martienne, devenue à la fois une " roue
de secours " et un terrain grandeur réelle d’expérimentations
biochimiques à l’échelle planétaire, constitue
un nouveau jalon dans la destinée humaine : Conscient de la
dégradation de son milieu naturel et maîtrisant des instruments
de contrôle de celle-ci, bloquée par manque de moyens, lesquels
sont réservés avant tout aux confort des citoyens-électeurs,
l’humanité agissante met alors en place un effort industriel
sans précédent et volontariste, déconnectée
des circuits financiers habituels car volontiers "inflationnistes", puisqu’il
s’agit d’une politique massive d’investissements étatiques
à l’échelle planétaire. De toute façon
les dégâts occasionnés par les dérèglements
climatiques sont responsables de dépenses de reconstruction, de palliation
à la destruction des biens qui semblaient un formidable gâchis
dans le système économique traditionnel.
-Cette fois la conscience mondiale approuvait la pertinence
d’un pouvoir incarné appuyé sur une technocratie4
de fait, acceptée dans ce cas précis car validée par
une communauté scientifique unie au diapason, la plus applaudie et
incontestée des "corporations".
Les
siècles passèrent, la transformation de mars en monde habitable
mit fin à certains rêves et révéla d'autres réalités,
notamment celles concernant le désir de l’homme de façonner
des mondes étrangers à l’image de la terre, quitte à
s’adapter à ces autres mondes. Toutefois, sur terre même,
l’environnement avait été maîtrisé, notamment
par l’usage de formes d’existence économiquement viables
pour l’humanité. Qui avait trouvé un " moteur "
industriel dans l’exploitation et de développement des mondes
de Solsys. Le pouvoir avait pris de nouvelles formes, bien qu’il soit
toujours incarné. Ces élus garantissaient une certaine " ligne
directrice " et étaient garants de l’état d’esprit
de la population à une moment donné, alors même que
la réalité de leur pouvoir était d’essence purement
technologique.
Depuis des siècles, la froideur nécessaire
des hypcors5 garantissait la gestion optimisé du monde,
loin des passions et idéologies, dialoguant avec les avancées
des théories scientifiques de tous les domaines. Jeu de dupes dans
lequel la population avait trouvé un compromis acceptable à
ses yeux. Car les décisions prises, aussi contestées qu’elles
soient par des tranches de la population étaient en dernier ressort
acceptées par résignation devant l’évidence scientifique.
Jamais la "science politique" n’avait rejoint d’aussi près
le fondement de son acception. Comme
toujours, le système était imparfait, on se rassurait comme
on le pouvait en donnant un titre à des "dirigeants" qui n’étaient
en fait que des représentants en interne comme en relations extérieures.
-La réalité du pouvoir était passé
aux machines et aux programmateurs. Ceux-ci cependant avaient vu leur influence
baisser régulièrement : Bien que leur pouvoir, celui
de transmettre leur architecture de pensée aux machines, était
foncièrement antidémocratique du simple fait qu’ils
pouvaient fort bien donner une "orientation" générale à
ces architectures, était réel, il ne fit que péricliter
de leur propre fait, puisque conscients eux-mêmes de cette impartialité
en défaut, ils conçurent un système de pensée
"autonome", ou tout au moins une architecture primordiale qui générait
elle-même ses propres unités et structures de pensées
secondaires.
L’architecture de la pensée cyber devenait
le fruit de sa propre construction et surtout de sa propre optimisation.
C’est le règne de la "pensée autocréatrice".
On ne peut l’aborder ici sans faire référence au chapitre
qui lui est consacré, car c’est un autre sujet. ( Voir "cybrain",
la pensée artificielle ).
-La réalité du pouvoir était donc
devenue par nécessité, en tendant vers la perfection, ce qu’avaient
pressenti nombre de visionnaires au XXème siècle. Mais l’incarnation
du pouvoir restait une obligation, comme l’avait été
celle de l’existence d’un Dieu et d’un au-delà.
L’humanité prétendait conserver le contrôle en
dernier ressort. Ce cyberpouvoir cependant fut battu en brèche à
maintes reprises, et parfois superbement ignoré ou pire, "réorienté"
dans le sens voulu par des dirigeants qui se servaient de son potentiel
pour planifier ses propres actions. Les meilleurs exemples en sont les conflits
qui éclatèrent, notamment entre la Terre et Mars lors de sa
guerre d’indépendance.
Par la suite au cours des grandes migrations humaines
et colonisations des mondes de Solsys, le pouvoir était presque toujours
le fruit d’un exercice Tricéphale. Le pouvoir colonial, depuis
la planète terraformée jusqu’au petites bases orbitales,
s’organisaient autour d‘une hiérarchie rationnelle entre
les colons(1), qui élisaient une direction provisoire en la personne
d’un de leurs collègue(2) qui se trouvaient de l’avis
de tous avoir les compétences requises à la fois pour exercer
une direction et proposer des orientations, sachant qu’il s’appuyait
lui même sur la puissance de prévision d’un cybercor6.
Enfin, les investisseurs
à l’origine de la mission(3), de grandes compagnies privées
opérant sous licence étatique, géraient leurs unités
coloniales sur une plus grande échelle et généraient
leur propre force directrice s’imposant à cette communauté.
Cependant du simple fait de la distance et donc
de la difficulté de "dialoguer" avec ce pouvoir, la plupart des décisions
s’opéraient localement selon le principe de la réunion de
communauté, dans une salle dédiée, le "décisionnaire"
provisoirement désigné soumettant à ce collège
les avis et conseils du Cybercor, les décisions les plus importantes
et les choix d’orientation à long terme se faisant après
discussion.
-Lors de la "grande expansion" stellaire de l’humanité,
ce pouvoir varia peu mais ont vit l’émergence d’une demande
de "plus de civilisation", les colons installés et voulant toujours
se détacher des investisseurs coloniaux comme de tout pouvoir extérieur
ayant la volonté réflexe de se constituer une civilisation
originale basée avant tout sur ses particularités culturelles
développées localement.
La "fierté" d’un peuple -le
proto-nationalisme- étant un ciment indispensable afin de
le rendre réellement indépendant de toute influence extérieure,
et passait souvent aussi par l’expression d’une pouvoir incarnant
une certaine "grandeur", pour tout dire, la recherche d’une "noblesse".
Les hiérarchies sociales avaient toujours existé et une frange
du pouvoir était exercée traditionnellement par une partie
effectivement élitaire de la population, sans pour autant qu’elle
soit directement assimilée à une classe politique. Cependant
ces faux décisionnaires et vrais représentants n’avaient
pas de réelle légitimité sinon celle d’une approbation
passagère de l’opinion.
Avec le souci de se donner un faste et une incarnation
du pouvoir plus axée vers une représentation fantasmée
du pouvoir, des civilisations en naissance n’ont pas hésité
à recourir à de très vielles recettes, dont la recréation
ou la "redécouverte" d’une lignée d'essence nobilière
remontant aux âges anciens de la Terre. Ceci aboutit à ce paradoxe
de trouver nombre de civilisations appartenant naguère à des
conglomérats privés se donner un Roi, un Empereur, ou tout
autre titre ronflant en mesure de porter au pinacle cette fierté
Nationale. Le peuple désire le faste lorsqu’il sait pertinemment
que la source de celui-ci se toujours dans le judicieux "conseil" d’un
Cybercor, bien caché sous les marbres d’un palais...
Cependant, comme il est constant,
l’exercice de cette représentation Royale voulue par la population
aboutissait souvent à la prise de pouvoir effectif de ces élus
Princiers, qui recevaient souvent discrétionnairement les "conseils"
cybercors, mais pouvaient les interpréter et surtout agir de leur
propre volonté, proposer une direction venant plus de leur opinion
personnelle que motivée par la "sagesse" d’un Cybercor.
-Ainsi, beaucoup des ces têtes couronnées
jugèrent trop timorées les orientations proposées par
les Cybercors et préféraient leur soumettre leurs propres
hypothèses de travail. C’est ainsi que des "empires" stellaires
de volonté hégémonique sont nés. Ce n’est
que lorsque les erreurs de ces élites devenaient patentes que le
contrat entre le peuple et son prince était rompu. On choisissait
alors au sein de la famille royale un cadet, un frère, une nouvelle
légitimité, car on ne renonçait jamais à cette
incarnation fastueuse du pouvoir. Le goût entretenu du merveilleux
justifiait encore une pseudo-hiérarchie. C'est l'éternelle
part de rêve de l'homme de toujours...
-1 : Yavanhoggs :
Ordre religieux Dom apparu en 8200 de l’ancienne ère, l’un
des premiers chargés d’établir l’une des premières
bases de données à l’échelle de la galaxie.
-2 : Cyberdémocratie : Nom donné au XXIème
siècle à un système politique encore détenu
par des hommes mais dont la décision appartient à des citoyens
connectés à un réseau d’information permanent,
et influencés par des professionnels des domaines considérés
dans la décision. Le pouvoir s’exerce au travers de l’information.
Appelé aussi " infodémocratie ".
-3 :
ONU : Organisation des nations Unies : L’ancienne instance
mondiale terrienne succédant à la Société des
Nations de 1920 de l’ancienne ère, et fondée en 1946.
privée de pouvoirs réels du fait de la prééminence
des nationalismes, son influence restait modeste.
-4 : Technocratie : Terme apparu au XXème siècle
de l’ancienne ère sur Terre. De sens péjoratif, il décrit
le fait que la démocratie soit aux mains de techniciens du pouvoir
déconnecté des préoccupation concrètes du peuple.
-5 :
Hypcors : Hypercalculateurs. Système à architecture de
pensée apparus en 2850 de l’ancienne ère, et bien que
programmés, capables de définir des solutions en articulant
entre elles des milliards d’informations en temps réel.
-6 : Cybercor : Contraction de cybercalculateur. Nom généralement
donné aux unités de type hypercalculateurs, abondamment utilisés
comme prévisionnistes et se retrouvant aussi bien dans les vaisseaux
que dans les " sous-sols " des états les plus puissants.
Ils constituent le "conseil" et même s’il ne détiennent
pas officiellement le pouvoir, ont une influence telle que ses avis sont
généralement suivis avec zèle du simple fait de leur
extrême pertinence.